Si le conclave souhaite un François bis, voici son nom et son programme

Dans la liste des car­di­naux que le Pape François ver­rait d’un bon œil lui suc­cé­der, un nou­veau nom vient d’être pro­pul­sé en tête du clas­se­ment. Il s’agit de celui du car­di­nal Jean-Claude Hollerich, l’archevêque du Luxembourg.

Les seuls obsta­cles sera­ient à la rigueur son jeu­ne âge rela­tif, 64 ans, et le fait qu’il soit jésui­te. Mais rien ne dit que ces limi­tes soient blo­quan­tes. En ce qui con­cer­ne son âge, Hollerich n’a qu’un an d’écart avec un autre papa­bi­le cher à Jorge Mario Bergoglio, le car­di­nal phi­lip­pin Luis Antonio Gokim Tagle, pré­fet de « Propaganda Fide », et de six, ce qui n’e­st pas énor­me, avec le can­di­dat alter­na­tif le plus en vue, le car­di­nal hon­grois Peter Erdö, l’archevêque d’Esztergom-Budapest. Et en ce qui con­cer­ne son appar­te­nan­ce à la Compagnie de Jésus, il en a jusqu’à pré­sent fait la démon­stra­tion des aspec­ts les meil­leurs, les moins par­ti­sans et les plus fasci­nan­ts, sur­tout grâ­ce à ses vingt-sept années de mis­sion au Japon, aux plus loin­tains con­fins de la foi, là où la recher­che de Dieu et de for­mes nou­vel­les du chri­stia­ni­sme con­sti­tuent des impé­ra­tifs abso­lus, des lignes de for­ce pour le futur de l’Église dans un mon­de de plus en plus sécu­la­ri­sé.

Mgr Hollerich s’est tou­jours mon­tré sen­si­ble à ce défi de notre épo­que et aujourd’hui enco­re, il en par­le avec un sérieux et une pro­fon­deur qui le pla­cent un cran au-dessus de la médio­cri­té d’une gran­de par­tie des car­di­naux nom­més par le Pape François. Il a étu­dié à Francfort et à Munich, il con­naît et par­le plu­sieurs lan­gues y com­pris le japo­nais, il a lon­gue­ment ensei­gné dans la pre­sti­gieu­se uni­ver­si­té « Sophia » de Tokyo – rien à voir avec l’université homo­ny­me des Focolari de Loppiano fon­dée en 2008 par Chiara Lubich, com­me le men­tion­ne avec une gros­siè­re erreur la bio­gra­phie offi­ciel­le de Hollerich sur le site du Vatican — [une erreur cor­ri­gée trois jours après la publi­ca­tion de cet arti­cle], jusqu’à ce qu’en 2011, Benoît XVI le rap­pel­le en Europe et le nom­me arche­vê­que de son pays, le Grand-Duché du Luxembourg.

Depuis lors, l’Europe en cri­se est deve­nue le domai­ne de pré­di­lec­tion de la mis­sion de Mgr Hollerich, sur­tout depuis 2018, date à laquel­le il a été élu pré­si­dent de la Commission des épi­sco­pa­ts de l’Union euro­péen­ne, en abré­gé COMECE, une char­ge qui lui don­ne une gran­de visi­bi­li­té insti­tu­tion­nel­le et qui le pla­ce en con­tact avec les repré­sen­tan­ts de l’Union, avec le rôle d’exprimer le point de vue de l’Église sur tous leurs actes, enco­re der­niè­re­ment avec ce juge­ment cri­ti­que for­mu­lé par le car­di­nal le 8 février der­nier con­tre la pro­po­si­tion du pré­si­dent fra­nçais Emmanuel Macron d’inclure le droit à l’avortement dans la char­te des droi­ts fon­da­men­taux de l’Union.

Mais il occu­pe un rôle enco­re plus cen­tral, non seu­le­ment en Europe mais dans le mon­de entier, depuis que le Pape François a déci­dé de le créer car­di­nal en 2019 et sur­tout de le nom­mer, le 8 juil­let 2021, rap­por­teur géné­ral du syno­de plu­rian­nuel qui – au juge­ment du pape régnant mais éga­le­ment à celui de son suc­ces­seur poten­tiel – devrait remo­de­ler l’Église à l’enseigne, pré­ci­sé­ment, de la « syno­da­li­té ».

Pour Hollerich, ce syno­de devra être plus que jamais « ouvert ». Il devra savoir écou­ter et « se rem­plir » des pro­po­si­tions issues du peu­ple de Dieu tout entier. Même sur les suje­ts les plus brû­lan­ts.

Par rap­port à François, qui reste tou­jours énig­ma­ti­que même quand il ouvre le champ à de nou­vel­les solu­tions, Hollerich se distin­gue par une plus gran­de clar­té. Ces der­niè­res semai­nes, il a don­né de lar­ges inter­views dans lesquel­les il a sem­blé expli­ci­ter, avec une appro­ba­tion d’en haut que l’on devi­ne, des ordres de mar­che que le Pape ne veut pas énon­cer lui-même, et qui coïn­ci­dent com­me par hasard avec la vague de reven­di­ca­tions extrê­mes pro­ve­nant de ce « Chemin syno­dal » qua­si schi­sma­ti­que qui se dérou­le en Allemagne.

Voyons donc com­ment s’est expri­mé Hollerich sur tous les suje­ts qui font l’objet des déba­ts, dans trois inter­views récen­tes qu’il a don­nées à « La Croix », à « Herder Korrespondenz » et à « Katolische Nachrichten-Agentur ».

Prêtres mariés

« À une cer­tai­ne épo­que, j’ai été un grand défen­seur du céli­bat pour tous les prê­tres, mais aujourd’hui je sou­hai­te qu’il y ait des ‘viri pro­ba­ti’. C’est un désir pro­fond que je por­te. Il s‘agit tou­te­fois d’un che­min dif­fi­ci­le pour l’Église, par­ce qu’il peut être perçu com­me une rup­tu­re. Après le syno­de sur l’Amazonie, peut-être qu’une des rai­sons pour lesquel­les le Pape n’a pas auto­ri­sé les ‘viri pro­ba­ti’ était qu’ils ava­ient été deman­dés avec trop d’insistance et que le Synode s’était trop limi­té à cet­te que­stion. Mais je pen­se que nous devons avan­cer dans cet­te direc­tion, autre­ment nous n’aurons plus de prê­tres. Sur le long ter­me, je peux éga­le­ment ima­gi­ner la voie de l’orthodoxie, dans laquel­le seuls les moi­nes sont astrein­ts au céli­bat ».

Femmes prêtres

« Il me sem­ble que le prin­ci­pal pro­blè­me n’est pas de savoir si les fem­mes devra­ient deve­nir prê­tre ou pas, mais sur­tout de savoir si les fem­mes ont un véri­ta­ble poids dans le sacer­do­ce qui est celui de tous les bap­ti­sés et con­fir­més du peu­ple de Dieu et si de cet­te maniè­re, elles peu­vent exer­cer l’autorité qui y est asso­ciée. Est-ce que cela signi­fie­rait éga­le­ment l’homélie à la mes­se ? Je dirais que oui. »

Femmes diacres

« Je n’aurais rien con­tre. Cependant, les réfor­mes doi­vent avoir un fon­de­ment sta­ble. Si tout d’un coup, le Pape per­met­tait des ‘viri pro­ba­ti’ et des dia­co­nes­ses, il y aurait une gran­de pério­de de schi­sme. Et il ne s’agit pas seu­le­ment de la situa­tion en Allemagne, où seu­le une peti­te par­tie se déta­che­rait peut-être. En Afrique ou dans des pays tels que la France, il est pro­ba­ble que de nom­breux évê­ques ne col­la­bo­re­ra­ient pas ».

Synode allemand

« J’ai par­fois l’impression que les évê­ques alle­mands ne com­pren­nent pas le Pape. Le Pape n’est pas libé­ral, il est radi­cal. C’est de la radi­ca­li­té de l’Évangile que vient le chan­ge­ment. Je par­ta­ge la posi­tion de Thomas Halik. On ne peut pas seu­le­ment par­ler de réfor­mer les struc­tu­res, la spi­ri­tua­li­té aus­si doit retrou­ver une crois­san­ce. Si les con­tro­ver­ses n’aboutissent qu’à des réfor­mes, tout peut très rapi­de­ment reve­nir en arriè­re. Dans ce cas, tout ne dépend que du niveau d’influence de tel ou tel grou­pe. Impossible alors de sor­tir du cer­cle vicieux. »

Sexualité et abus

« Nous devons chan­ger notre façon de voir la sexua­li­té. Jusqu’à aujourd’hui, nous avons eu une vision plu­tôt refou­lée. Évidemment, il ne s’agit pas d’aller dire aux gens qu’ils peu­vent fai­re n’importe quoi ni d’abolir la mora­le, mais je crois que nous devrions dire que la sexua­li­té est un don de Dieu. Nous le savons, mais est-ce que nous le disons ? Je n’en suis pas sûr. Certains attri­buent la mul­ti­pli­ca­tion des abus à la révo­lu­tion sexuel­le. Je pen­se exac­te­ment le con­trai­re : à mon avis, les fai­ts les plus hor­ri­bles se sont pro­duit avant les années soixante-dix ».

Homosexualité

« Les posi­tions de l’Église sur le carac­tè­re pec­ca­mi­neux des rela­tions homo­se­xuel­les sont erro­nées. Je crois que les fon­de­men­ts socio­lo­gi­ques et scien­ti­fi­ques de cet­te doc­tri­ne ne sont plus cor­rec­ts. Le temps est venu pour une révi­sion fon­da­men­ta­le de l’enseignement de l’Église et la maniè­re dont le Pape François a par­lé de l’homosexualité peut con­dui­re à un chan­ge­ment de la doc­tri­ne. Entretemps, dans notre archi­dio­cè­se du Luxembourg, per­son­ne n’est ren­voyé par­ce qu’il est homo­se­xuel ou divor­cé et rema­rié. Je ne peux pas les jeter dehors, ils tom­be­ra­ient au chô­ma­ge. Comment un tel geste pourrait-il être con­si­dé­ré com­me chré­tien ?  Quant aux prê­tres homo­se­xuels, ils sont nom­breux, et il serait bon qu’ils puis­sent en par­ler avec leur évê­que sans qu’il ne les con­dam­ne ».

Intercommunion

« À Tokyo, je don­nais la com­mu­nion à tous ceux qui vena­ient à la mes­se. Je n’ai jamais refu­sé la com­mu­nion à per­son­ne. Je par­tais du prin­ci­pe que si un pro­te­stant venait com­mu­nier, c’est qu’il savait ce que les catho­li­ques enten­dent par la com­mu­nion, au moins autant que le savent les autres catho­li­ques qui par­ti­ci­pent à la mes­se. Cependant, je ne con­cé­lé­bre­rais pas avec un pasteur évan­gé­li­que. À Tokyo, j’ai appris à très bien con­naî­tre le pro­te­stan­ti­sme et à l’apprécier. Mais à une occa­sion, j’étais pré­sent l’à une de leurs cènes du Seigneur et j’ai été hor­ri­fié quand le reste du vin a été jeté à la pou­bel­le avec les restes du pain. Ça m’a beau­coup secoué, par­ce qu’en tant que catho­li­que, je crois à la pré­sen­ce réel­le. »

Messe en latin

« J’aime bien la mes­se en latin, je trou­ve que les tex­tes sont très beaux, spé­cia­le­ment le pre­mier canon. Quand je célè­bre la mes­se chez moi dans ma cha­pel­le, je choi­sis par­fois une priè­re lati­ne. Mais dans une parois­se, je ne le ferai pas. Je sais qu’il y a là des per­son­nes qui ne com­pren­nent pas le latin et qui n’en tire­ra­ient rien. On m’a deman­dé de célé­brer à Anvers une mes­se en latin dans le rite actuel. Je le ferai, mais je ne célé­bre­rai pas dans l’ancien rite. Cela ne signi­fie pas que d’autres ne puis­sent le fai­re sans dou­te dans un sens posi­tif. Mais moi je ne peux pas. Dans notre lan­gue et dans notre ima­gi­na­tion, le pas­sé reste der­riè­re et le futur devant. Dans l’Égypte ancien­ne, c’était exac­te­ment l’inverse. Le pas­sé était vu com­me quel­que cho­se qui était devant nous, par­ce que nous le con­nais­sons et que nous le voyons, tan­dis que le futur était der­riè­re nous, puisqu’on ne le con­nait pas. L’Église catho­li­que me sem­ble avoir con­ser­vé une cer­tai­ne tou­che égyp­tien­ne. Mais ça ne mar­che plus. Dieu ouvre à l’avenir. Certains disent que la mes­se était plus bel­le avant. Mais de quel­le for­me parlent-ils ? On s’imagine le plus sou­vent un cer­tain pas­sé ‘sty­li­sé’ dans une tra­di­tion. Et c’est à cau­se de cela que la civi­li­sa­tion égyp­tien­ne a fini par s’effondrer. Elle avait per­du la capa­ci­té de se tran­sfor­mer ».

Avortement

« Je con­nais des hom­mes et des fem­mes, y com­pris de gau­che, qui se disent chré­tiens con­vain­cus, qui lut­tent con­tre le chan­ge­ment cli­ma­ti­que, mais qui au par­le­ment euro­péen votent pour fai­re en sor­te que l’avortement devien­ne un droit fon­da­men­tal et pour limi­ter la liber­té de con­scien­ce des méde­cins. Ils ten­dent à enfer­mer leurs pré­fé­ren­ces reli­gieu­ses dans la sphè­re pri­vée. Mais dans ce cas, il ne s’agit plus d’une reli­gion mais d’une con­vic­tion per­son­nel­le. La reli­gion exi­ge un espa­ce public où elle puis­se s’exprimer. Un exem­ple : je suis tota­le­ment con­tre l’avortement. Et, en tant que chré­tien, je ne peux pas avoir une autre posi­tion. Mais je com­prends aus­si qu’il y ait une préoc­cu­pa­tion pour la digni­té des fem­mes, et ce que nous avons sou­te­nu par le pas­sé pour nous oppo­ser à la loi sur l’avortement n’est plus audi­ble aujourd’hui. À ce sta­de, quel­le autre mesu­re pourrions-nous pren­dre pour défen­dre la vie ? Quand un discours n’est plus sui­vi, il ne faut pas s’acharner mais cher­cher d’autres voies. »

Sur un autre point, la béné­dic­tion litur­gi­que des cou­ples homo­se­xuels, sur laquel­le le syno­de d’Allemagne s’est déchaî­né et où le Pape François lui-même a fait miner d’être prêt à céder, Hollerich cou­pe court : « Pour les béné­dic­tions nup­tia­les, c’est non, je ne suis pas d’accord, par­ce que nous ne con­si­dé­rons com­me maria­ge que l’union entre un hom­me et une fem­me ».

Il y a aus­si une distan­ce incon­te­sta­ble entre la vision qu’Hollerich a de l’Église et cel­le, hyper-démocratique en revan­che, que l’évêque du Limbourg et pré­si­dent de la Conférence épi­sco­pa­le alle­man­de Goerg Bâtzing a réaf­fir­mée dans une récen­te inter­view : « Nous vou­lons que dans l’Église le pou­voir soit par­ta­gé, qu’il soit con­trô­lé, qu’il ne reste plus entre les mains d’un seul, mais qu’il soit par­ta­gé par beau­coup. Nous vou­lons que les fem­mes puis­sent être accep­tées dans les mini­stè­res et dans les offi­ces de l’Église. Que l’égalité des droi­ts s’applique dans l’Église, l’égalité de digni­té des fem­mes et des hom­mes. Nous vou­lons que dans l’Église on accueil­le non seu­le­ment la dif­fé­ren­ce de gen­re mais aus­si la mul­ti­pli­ci­té des gen­res ».

Une incon­nue demeu­re cepen­dant. Combien de temps les idées réfor­mi­stes d’Hollerich, fai­tes de nom­breux oui mais aus­si de quel­ques non, tiendront-elles quand les pro­po­si­tions explo­si­ves du syno­de alle­mand se croi­se­ront, à Rome, avec le syno­de de tout l’Église sur la syno­da­li­té ?

Le 3 février der­nier, en con­fé­ren­ce de pres­se, Mgr Bätzing a révé­lé qu’au ter­me d’une ren­con­tre qui a eu lieu au Luxembourg entre lui, Hollerich et le car­di­nal mal­tais Mario Grech, le secré­tai­re géné­ral du syno­de des évê­ques, il a été reçu en audien­ce par le Pape François, qui aurait encou­ra­gé la créa­tion d’un grou­pe de tra­vail sur la maniè­re de con­ci­lier le syno­de alle­mand avec celui de l’Église uni­ver­sel­le.

Le car­di­nal Hollerich, en tant que can­di­dat réfor­mi­ste au pon­ti­fi­cat, sem­ble pro­met­tre un par­cours plus linéai­re et plus cohé­rent par rap­port aux remous et aux con­tra­dic­tions du pon­ti­fi­cat actuel.

Pourtant, il n’est qu’une bana­le répli­que de Bergoglio quand il se met lui aus­si à répé­ter cet­te lita­nie si chè­re au pape régnant : « Même le pasteur ne con­naît pas tou­jours le che­min et ne sait pas où aller. Parfois, ce sont les bre­bis qui trou­vent le che­min et le pasteur qui les suit avec dif­fi­cul­té, pas à pas ».

Sans par­ler de la mise en péril témé­rai­re du prin­ci­pe ari­sto­té­li­cien de non-contradiction, qu’Hollerich lui non plus ne craint pas d’inverser, à l’instar du Pape François, en y ajou­tant une peti­te colo­ra­tion japo­nai­se :

« Je suis un évê­que venu du Japon et je pen­se que ces expé­rien­ces m’ont offert un autre hori­zon de pen­sée et de juge­ment. Les Japonais ne pen­sent pas com­me dans la logi­que euro­péen­ne des con­trai­res. Si nous disons qu’une cho­se est noi­re, ça signi­fie qu’elle n’est pas blan­che. Les japo­nais disent quant à eux : ‘Elle est blan­che, mais peut-être qu’elle est éga­le­ment noi­re’. Au Japon, on peut tout à fai­re com­bi­ner les con­trai­res sans chan­ger de point de vue ».

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 10/02/2022