Pouvoir au peuple ou monarchie absolue ? Les contradictions du Pape François

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Il se pas­se beau­coup de cho­ses con­tra­dic­toi­res dans l’Église catho­li­que. D’un côté on accla­me un Synode sur la syno­da­li­té qui étend la par­ti­ci­pa­tion au gou­ver­ne­ment de l’Église bien au-delà du pape et des évê­ques, même à des prê­tres, à des reli­gieux et à des laïcs, hom­mes et fem­mes. Mais d’un autre, on assi­ste de la part de François à un exer­ci­ce des pou­voirs pon­ti­fi­caux auto­ri­tai­re et mono­cra­ti­que com­me jamais.

Avec une nou­veau­té impromp­tue de plus, énon­cée le 11 sep­tem­bre par le nou­veau pré­fet du Dicastère pour la Doctrine de la foi, l’Argentin Victor Manuel Fernández, qui dans une répon­se écri­te aux que­stions d’Edward Pentin pour le « National Catholic Register » a assi­gné à François « un cha­ri­sme par­ti­cu­lier pour la sau­ve­gar­de du dépôt de la foi, un cha­ri­sme uni­que, que le Seigneur n’a don­né qu’à Pierre et à ses suc­ces­seurs », mais dont per­son­ne n’avait jamais enten­du par­ler jusqu’à aujourd’hui.

D’après Fernández, il s’agit d’un « don vivant et actif qui est à l’œuvre dans la per­son­ne du Saint-Père. Moi je n’ai pas ce cha­ri­sme, vous ne l’avez pas, pas plus que le car­di­nal Burke ne l’a. Aujourd’hui, il n’y a que le Pape François qui l’ait. Donc, si vous me dites qu’un évê­que a un don spé­cial de l’Esprit Saint pour juger la doc­tri­ne du Saint-Père, on entre dans un cer­cle vicieux (dans lequel cha­cun peut pré­ten­dre pos­sé­der la vra­ie doc­tri­ne) et ce serait une héré­sie et un schi­sme. Rappelez-vous que les héré­ti­ques pen­sent tou­jours con­naî­tre la vra­ie doc­tri­ne de l’Église. Malheureusement, aujourd’hui ce sont non seu­le­ment cer­tains pro­gres­si­stes mais éga­le­ment, para­do­xa­le­ment, cer­tains tra­di­tio­na­li­stes qui tom­bent dans cet­te erreur ».

Il est dif­fi­ci­le d’imaginer une exten­sion plus déme­su­rée de l’infaillibilité du pape en matiè­re de foi, une infail­li­bi­li­té cer­tes affir­mée par le Concile Vatican I mais dans des limi­tes extrê­me­ment stric­tes. Et en effet, le nou­veau dog­me qui vient d’être pro­mul­gué par Fernández a immé­dia­te­ment atti­ré le feu nour­ri des cri­ti­ques.

La plus argu­men­tée et le plus cin­glan­te est issue du camp con­ser­va­teur, sur le blog « Caminante Wanderer », sous la plu­me d’un spé­cia­li­ste argen­tin éru­dit et ano­ny­me.

Mais dans le camp oppo­sé, celui des pro­gres­si­stes, le très sin­gu­lier « cha­ri­sme » dont, aux dires de Fernández, seul François serait doté, a été reca­lé sans appel, juste­ment par­ce qu’il est incom­pa­ti­ble avec les limi­tes de l’infaillibilité pon­ti­fi­ca­le réaf­fir­mée par le Concile Vatican II dans la con­sti­tu­tion dog­ma­ti­que « Lumen gen­tium ». Massimo Faggioli, pro­fes­seur de théo­lo­gie à la Villanova University, a d’ailleurs publié un arti­cle sur le sujet dans le jour­nal « Commonweal ».

Mais ce qui reste enco­re plus incom­pré­hen­si­ble, c’est la con­tra­dic­tion entre les pou­voirs mono­cra­ti­ques sans limi­te dont François se con­si­dè­re tou­jours plus inve­sti d’en haut par la voix de son théo­lo­gien de cour, et dans le même temps la « démo­cra­ti­sa­tion » de l’Église qu’il veut met­tre en pla­ce avec la nou­vel­le syno­da­li­té.

Et même sur cet­te nou­vel­le for­me de Synode, on a assi­sté à un chan­ge­ment de ryth­me au cours de son pon­ti­fi­cat.

Pour en reve­nir au Concile Vatican II, dans « Lumen gen­tium », la con­sti­tu­tion dog­ma­ti­que de Vatican II expres­sé­ment con­sa­crée à l’Église, on ne retrou­ve le mot « Synode » qu’une seu­le fois et il est syno­ny­me du mot « Concile », qui réu­nit exclu­si­ve­ment le pape et les évê­ques.

Tandis que dans les rares docu­men­ts pon­ti­fi­caux des décen­nies sui­van­tes dans lesquel­les le mot « syno­de » appa­raît, il se réfè­re à la maniè­re dont il est pra­ti­qué dans les Églises ortho­do­xes, c’est-à-dire au col­lè­ge des évê­ques réu­ni avec leur patriar­che ou arche­vê­que majeur pour exer­cer l’autorité hié­rar­chi­que sur leur Église respec­ti­ve.

Peter Anderson, le cher­cheur de Seattle qui est un obser­va­teur atten­tif de ce qui se pas­se dans les Église d’Orient et qui publie sur le sujet les arti­cles de fond les plus per­ti­nen­ts et docu­men­tés, a con­fir­mé qu’entre le Concile et l’année 2013, on ne retrou­ve que dou­ze récur­ren­ces du mot « syno­da­li­té » : six avec Jean-Paul II, deux avec Benoît XVI et qua­tre avec François.

On peut dédui­re de cela que jusqu’à la pre­miè­re année après son élec­tion com­me Pape, François n’avait aucu­ne inten­tion, à tout le moins dans ses écri­ts publics, d’aller vers une « démo­cra­ti­sa­tion » des syno­des.

La pre­miè­re fois où il a par­lé de « syno­da­li­té », c’était le 28 juin 2013, en s’adressant à la délé­ga­tion du patriar­cat œcu­mé­ni­que de Constantinople. Et il a fait réfé­ren­ce à la « réfle­xion de l’Église catho­li­que sur la col­lé­gia­li­té épi­sco­pa­le », pour laquel­le c’était une bon­ne cho­se d’« appren­dre » de la « tra­di­tion de la syno­da­li­té si carac­té­ri­sti­que des Églises ortho­do­xes ».

La secon­de fois, c’était dans l’homélie du len­de­main, fête des sain­ts Pierre et Paul, pour sou­hai­ter l’« har­mo­nie » entre le Synode des évê­ques et le pri­mat du pape.

La troi­siè­me fois, c’était dans l’interview de sep­tem­bre 2013 avec le direc­teur de « La Civiltà Cattolica », Antonio Spadaro. C’est là que pour la pre­miè­re fois il a fait allu­sion à l’idée que « peut-être était-il temps de modi­fier la métho­do­lo­gie du Synode, par­ce l’actuelle me sem­ble sta­ti­que ». Avant de répé­ter tout de sui­te que c’est « de nos frè­res ortho­do­xes » que « l’on peut appren­dre le plus sur le sens de la col­lé­gia­li­té épi­sco­pa­le et sur la tra­di­tion de la syno­da­li­té ».

La qua­triè­me fois, c’était dans l’exhortation apo­sto­li­que « Evangelii gau­dium » du 24 novem­bre 2013, le docu­ment pro­gram­me de son pon­ti­fi­cat, où il se limi­te pour­tant à affir­mer de nou­veau que « dans le dia­lo­gue avec les frè­res ortho­do­xes, nous les catho­li­ques, nous avons la pos­si­bi­li­té d’apprendre quel­que cho­se de plus sur le sens de la col­lé­gia­li­té épi­sco­pa­le et sur l’expérience de la syno­da­li­té. »

Mais ce n’était alors que le début. Au cours des années sui­van­tes, François est allé cre­scen­do dans les annon­ces et les déci­sions qui ont mené à la muta­tion actuel­le de la for­me du Synode, désor­mais à tel point éloi­gné du modè­le plu­ri­sé­cu­lai­re tou­jours en vigueur dans les Églises d’Orient qu’il a susci­té, de leur part, la pro­te­sta­tion relayée dans le der­nier arti­cle de Settimo Cielo :

> Le syno­de du Pape François n’a rien appris des syno­des des Églises orien­ta­les. Les objec­tions d’un évê­que grec catho­li­que

En don­nant le pou­voir au « peu­ple de Dieu », c’est-à-dire en élar­gis­sant la par­ti­ci­pa­tion aux syno­des, avec droit de vote, aux sim­ples bap­ti­sés, François a cer­tai­ne­ment réa­li­sé une inno­va­tion de gran­de ampleur.

Mais enco­re une fois, en tota­le con­tra­dic­tion. Parce que ce n’est pas un syno­de qui a déci­dé de ce chan­ge­ment, com­me le vou­drait la nou­vel­le poli­ti­que « popu­lai­re », mais c’est lui, le pape, qui a déci­dé tout seul.

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 26/09/2023