Il y a cinq siècles déjà, à Rome, « on se mariait entre hommes », pendant la Semaine sainte

« Je ren­con­trai au retour de Saint-Pierre un hom­me qui m’avisa plai­sam­ment de deux cho­ses : que les Portugais fai­sa­ient leur obé­dien­ce la semai­ne de la Passion, et puis que ce même jour la sta­tion était à Saint-Jean Porta Latina, en laquel­le égli­se cer­tains Portugais, quel­ques années y a, éta­ient entrés en une étran­ge con­fré­rie. Ils s’épousaient mâle à mâle à la mes­se, avec mêmes céré­mo­nies que nous fai­sons nos maria­ges, fai­sant leur pâques ensem­ble, lisa­ient ce même évan­gi­le des noces, et puis cou­cha­ient et habi­ta­ient ensem­ble. Les espri­ts romains disa­ient que, par­ce qu’en l’autre con­jonc­tion, de mâle à femel­le, cet­te seu­le cir­con­stan­ce la rend légi­ti­me, que ce soit en maria­ge, il avait sem­blé à ces fines gens que cet­te autre action devien­drait pareil­le­ment juste, qui l’aurait auto­ri­sée de céré­mo­nies et mystè­res de l’Église. »

Donc déjà « des années avant » l’actuel syno­de d’Allemagne, les lan­sque­ne­ts des noces homo­se­xuel­les avaient-ils con­quis Rome, à com­men­cer par leur colo­nie lusi­ta­nien­ne ?

En effet, il sem­ble bien qu’il en soit ain­si. Ces « bra­ves gens » pen­sa­ient tout com­me les évê­ques alle­mands et autri­chiens d’aujourd’hui qui veu­lent bénir les cou­ples de même sexe à l’Église, en justes noces ; et même le Pape François est favo­ra­ble aux « gestes d’amour » plu­tôt qu’aux « con­dam­na­tions », aux « léga­li­smes » et aux « mora­li­smes ».

Cependant, une ligne plus bas, ce chro­ni­queur ajou­te : « Il fut brû­lé huit ou neuf Portugais de cet­te bel­le sec­te ». Et cet­te fois, il n’est venu à per­son­ne l’idée de se moquer du Saint-Office, au con­trai­re de ce qui se pas­se aujourd’hui.

Nous som­mes en 1581. Le récit est tiré du « Journal de voya­ge en Italie » de Michel de Montaigne, publié pour la pre­miè­re fois deux siè­cles plus tard, en 1774.

Dans l’étape romai­ne de son « Grand tour », Montaigne fut éga­le­ment reçu en audien­ce par le Pape, qui était à l’époque Grégoire XII, celui du calen­drier : « un très-beau vieil­lard, âgé lors de plus de 80 ans, le plus sain pour cet âge & vigou­reux qu’il est pos­si­ble de desi­rer, sans gou­te, sans coli­que, sans mal d’e­sto­mach, & sans aucu­ne sub­jec­tion: d’u­ne natu­re dou­ce, peu se pas­sion­nant des affai­res du mon­de ».

Pourtant, à son arri­vée à Rome, les gar­des du Pape s’étaient immé­dia­te­ment occu­pés avec zèle de ce voya­geur cul­ti­vé. Ils ava­ient mis ses baga­ges sens des­sus des­sous et con­fi­squé les deux volu­mes de « Essais » que Montaigne avait avec lui, son chef‑d’œuvre. Pour le lui resti­tuer l’année sui­van­te. Censurés.

*

Je dois la décou­ver­te de ces sur­pre­nan­ts frag­men­ts à Giuseppe Marcenaro, qui a remar­qua­ble­ment écrit sur le « Voyage en Italie » de Michel de Montaigne dans « Il Foglio » du same­di 27 mars.

Mais cet­te histoi­re a sur­tout fait l’o­b­jet d’un essai publié en 2010 dans la revue “Studi Storici” inti­tu­lé : “Matrimoni omo­ses­sua­li nel­la Roma del tar­do Cinquecento: su un pas­so del ‘Journal’ di Montaigne”, sous la plu­me de Giuseppe Marcocci, pro­fes­seur d’hi­stoi­re moder­ne à l’u­ni­ver­si­té d’Oxford et élè­ve d’Adriano Prosperi.

En 2015, cet essai a été notam­ment publié en anglais dans “Historical Reflections/Réflexions Historiques” sous le titre: « Is This Love? Same-Sex Marriages in Renaissance Rome ».

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 31/03/2021