Révélations. Les premiers contacts entre le Vatican et Pékin ont débuté il y a 32 ans. Voici comment

Maintenant, on le sait. Ce qui a ouvert la rou­te aux con­tac­ts entre le Saint-Siège et les auto­ri­tés de Pékin, ce fut une visi­te d’État, remon­tant à 1986, de l’Italie en Chine com­mu­ni­ste, à l’époque où le socia­li­ste Bettino Craxi était le chef du gou­ver­ne­ment à Rome et que le démocrate-chrétien Giulio Andreotti était mini­stre des affai­res étran­gè­res.

C’est en tout cas ce que vient de révé­ler Gennaro Acquaviva, qui était à l’époque chef de cabi­net de Craxi et son pre­mier con­seil­ler pour les affai­res ecclé­sia­sti­ques, dans un arti­cle paru sur le der­nier numé­ro de la revue « Mondoperaio ».

Deux années aupa­ra­vant, en 1984, Acquaviva, qui est catho­li­que, avait été par­mi les arti­sans du nou­veau con­cor­dat entre le Saint-Siège et l’Italie.

Il n’est donc pas sur­pre­nant que ce soit donc à lui que le Vatican – en la per­son­ne du secré­tai­re de l’époque char­gé des rap­ports avec les États, Mgr Achille Silvestrini, car­di­nal depuis 1988 – se soit adres­sé pour lui deman­der de fai­re en sor­te que Craxi et Andreotti se fas­sent les ambas­sa­deurs, à Pékin, de la deman­de du Saint-Siège d’établir un con­tact avec les auto­ri­tés chi­noi­ses.

Tout cela devait se dérou­ler dans le plus grand secret. Et il en fut ain­si.  La mis­sion diplo­ma­ti­que eu bien lieu et à pei­ne « quel­ques jours plus tard », une pre­miè­re ren­con­tre secrè­te eut lieu entre les repré­sen­tan­ts du Vatican et de Chine, à la non­cia­tu­re du Saint-Siège.

La pho­to ci-dessus mon­tre la ren­con­tre offi­ciel­le à Pékin entre le chef du gou­ver­ne­ment ita­lien Craxi et celui qui était à l’époque le « maî­tre » de la Chine post-maoïste, Deng Xiaoping.

Nous repro­dui­sons ci-dessous les pas­sa­ges les plus mar­quan­ts du récit d’Acquaviva publiés sur « Mondoperaio ». Celui-ci est du plus grand inté­rêt notam­ment par­ce qu’il rela­te une visi­te offi­ciel­le et très con­trô­lée qu’il a effec­tuée en com­pa­gnie d’Andreotti à la cathé­dra­le de Shanghai et à son évê­que « offi­ciel » nom­mé par le gou­ver­ne­ment, dont Acquaviva écrit ne pas avoir noté le nom, mais qui était en fait le jésui­te Aloysius Jin Luxian, récon­ci­lié avec Rome en 2005 et décé­dé en 2013.

Acquaviva voit dans cet évê­que, « offi­ciel » bien qu’également « romain », le sym­bo­le de cet accord qui est aujourd’hui en train d’être pas­sé entre le Vatican et Pékin, notam­ment con­cer­nant la nomi­na­tion des évê­ques chi­nois dont le choix revien­dra aux auto­ri­tés com­mu­ni­stes.

Et on peut com­pren­dre cet­te sym­pa­thie d’Acquaviva pour un tel accord si on prend la pei­ne de tenir comp­te de sa postu­re « con­cor­da­tai­re » ain­si que de son fer­vent atta­che­ment à la poli­ti­que vati­ca­ne des années soi­xan­te et soixante-dix envers les régi­mes com­mu­ni­stes, sous l’impulsion d’Agostino Casaroli.

En même temps, pour­tant, Acquaviva recon­naît que ces con­tac­ts entre le Saint-Siège et Pékin, inau­gu­rés entre autre grâ­ce à lui en 1986, n’ont tou­tes ces décen­nies don­né pra­ti­que­ment aucun résul­tat et, si tant est qu’on com­men­ce aujourd’hui à pei­ne à entre­voir une pre­miè­re amor­ce d’accord, celui-ci est sur­tout con­si­dé­ré com­me une « tra­hi­son » par un obser­va­teur et émi­nent pro­ta­go­ni­ste tel que le car­di­nal Joseph Zen Zekiun, l’évêque émé­ri­te de Hong Kong.

Une der­niè­re remar­que – avant de fai­re pla­ce à ce récit histo­ri­que – à pro­pos d’Andreotti, le mini­stre des affai­res étran­gè­res de l’époque.

Particulièrement expert dans tout ce qui tou­che au Vatican, Andreotti a éga­le­ment été, entre 1993 et 2012, direc­teur du men­suel mul­ti­lin­gue « 30 gior­ni ». Il a ces­sé de para­î­tre depuis qua­tre ans mais on y retrou­vait dans l’équipe de rédac­tion plu­sieurs jour­na­li­stes – tels qu’Andrea Tornielli, Gianni Valente, Stefania Falasca – amis de Jorge Mario Bergoglio bien avant déjà qu’il soit élu pape et aujourd’hui fer­ven­ts défen­seurs de ses déci­sions, y com­pris de sa poli­ti­que d’apaisement avec la Chine.

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Craxi et Andreotti, ambassadeurs du Vatican en Chine

de Gennaro Acquaviva

La récen­te déci­sion du Pape François de créer un troi­siè­me dépar­te­ment de la secré­tai­re­rie d’État pour trai­ter des que­stions con­cer­nant par­ti­cu­liè­re­ment les per­son­nes qui tra­vail­lent au ser­vi­ce diplo­ma­ti­que du Saint-Siège […] a été ampli­fiée à l’excès, au point de deve­nir pre­sque un sym­bo­le de cet­te dure polé­mi­que qui se dérou­le en sui­te aux posi­tions de l’ancien, et émé­ri­te, car­di­nal de Hong Kong Joseph Zen : ce der­nier a esti­mé que tous les actes effec­tués ou annon­cés par la secré­tai­re­rie d’État con­cer­nant la nomi­na­tion de cer­tains évê­ques dans la Chine com­mu­ni­ste con­sti­tuait un gra­ve retour en arriè­re par rap­port à la « cor­rec­tion cano­ni­que » même. Une accu­sa­tion publi­que et expli­ci­te qui vise en par­ti­cu­lier cet­te insti­tu­tion de la curie vati­ca­ne qu’est la secré­tai­re­rie d’État, dont les fonc­tions et l’autorité vien­nent d’être ren­for­cés par une déci­sion du pape.

Le car­di­nal Zen a par­lé de ce sujet aux jour­na­li­stes en uti­li­sant un voca­bu­lai­re très curial pour dénon­cer avec for­ce une espè­ce de « tra­hi­son » per­pé­trée par les mem­bres de la secré­tai­re­rie d’État par rap­port sur ce qui reste enco­re aujourd’hui un point sen­si­ble et essen­tiel de la poli­ti­que vati­ca­ne : celui qui est lié au fait que demeu­re et se per­pé­tue depuis des décen­nies — c’est-à-dire depuis le début des années cin­quan­te — une situa­tion qui oppo­se le Vatican et le gou­ver­ne­ment chi­nois sur la liber­té de témoi­gna­ge des catho­li­que ain­si que sur la gestion de l’Église catho­li­que sur ce con­ti­nent à la sui­te de l’avènement du régi­me com­mu­ni­ste.

Comme plu­sieurs d’entre nous s’en sou­vien­nent, il s’agit depuis le début d’une que­stion de natu­re par­ti­cu­liè­re­ment ardue, com­pli­quée depuis lors par la divi­sion géo­po­li­ti­que. Une que­stion qui est d’ailleurs tou­jours cri­ti­que aujourd’hui, sur­tout par rap­port au rôle et aux fonc­tions du pape de Rome dans la nomi­na­tion libre, auto­ri­sée et « légi­ti­me » des évê­ques chi­nois, en par­ti­cu­lier par rap­port à leur témoi­gna­ge apo­sto­li­que, en République Populaire de Chine.

C’est pré­ci­sé­ment à pro­pos de ce sujet épi­neux et dif­fi­ci­le à résou­dre que je me per­met de pro­po­ser un sou­ve­nir per­son­nel qui remon­te à l’époque loin­tai­ne du gou­ver­ne­ment Craxi (1983–1987), par rap­port à un évé­ne­ment tout à fait igno­ré jusqu’à aujourd’hui et qui advint alors pré­ci­sé­ment par rap­port à ce sujet qui nous occu­pe. […]

Cette histoi­re se dérou­le au cours d’une visi­te d’État – la pre­miè­re dans l’histoire de la République ita­lien­ne – de notre gou­ver­ne­ment auprès du gou­ver­ne­ment chi­nois, à l’époque domi­né par Deng Xiaoping, au cours des der­niers jours du mois d’octobre 1986. […]

En octo­bre 1986, la secré­tai­re­rie d’État du Vatican, à l’époque repré­sen­tée par Mgr Achille Silvestrini, m’avait con­tac­té pour me deman­der de bien vou­loir glis­ser discrè­te­ment, dans les réu­nions au som­met avec les chi­nois, l’expression d’une deman­de ita­lien­ne insi­stan­te afin de réu­nir les pos­si­bi­li­tés d’initier une con­cer­ta­tion entre le Vatican et le gou­ver­ne­ment de la République de Chine con­cer­nant la con­di­tion de clan­de­sti­ni­té à laquel­le éta­ient sou­mis les catho­li­ques chi­nois et leurs pasteurs « en com­mu­nion avec le pape » et pour per­met­tre de résou­dre d’un pro­blè­me con­si­dé­ré com­me très gra­ve.

Silvestrini avait bien insi­sté sur le sou­hait du Vatican que cela puis­se se fai­re rapi­de­ment, étant don­né la nou­vel­le poli­ti­que d’ouverture inau­gu­rée par le gou­ver­ne­ment des suc­ces­seurs de Mao, désor­mais sous la direc­tion de Deng ; et il m’avait vive­ment prié de pas­ser par le pré­si­dent Craxi afin que cela d’une façon ou d’une autre, mais avec une for­te déter­mi­na­tion, ce sujet puis­se être mis sur la table lors des réu­nions au som­met à Pékin.

C’est bien ce qui s’est pas­sé, notam­ment grâ­ce à l’adhésion déci­si­ve de Craxi. Et, au ter­me des ren­con­tres offi­ciel­les, le gou­ver­ne­ment chi­nois (tout en pré­ci­sant que la répon­se était réser­vée au pré­si­dent du con­seil ita­lien et non pas à son mini­stre des affai­res étran­gè­res) nous infor­ma que nous étions auto­ri­sés à infor­mer le Saint-Siège que les col­lo­ques bila­té­raux deman­dés sera­ient lan­cés au plus vite à tra­vers le siè­ge diplo­ma­ti­que de la République chi­noi­se à Rome : ce qui advint effec­ti­ve­ment quel­ques jours plus tard, les réu­nions eurent lieu au siè­ge de la non­cia­tu­re vati­ca­ne auprès de la République ita­lien­ne.

Je vous rap­pel­le que je suis en train d’évoquer un épi­so­de qui s’est dérou­lé il y a 32 ans. Il est dif­fi­ci­le de savoir et de com­pren­dre ce qui a bien pu se pas­ser depuis tou­tes ces années dans les rap­ports entre les deux « pro­ta­go­ni­stes », même si la déci­sion que le car­di­nal Zen attri­bue aujourd’hui à ce qu’il qua­li­fie lui-même de « tra­hi­son » du Vatican sem­ble indi­quer que cet­te lon­gue pério­de n’ait pra­ti­que­ment rien pro­duit de neuf ni sur­tout de con­struc­tif.  […]

Laissant Pékin der­riè­re elle au ter­me des ren­con­tres offi­ciel­les, la délé­ga­tion ita­lien­ne fit esca­le à Shanghai. […] La secon­de des deux jour­nées que nous avons pas­sées à Shanghai était un 2 novem­bre ; la veil­le, avant d’aller nous cou­cher, en me saluant, Andreotti me pro­po­sa de l’accompagner le len­de­main matin, dès l’aube, à la mes­se qui serait célé­brée à la basi­li­que pri­ma­tia­le du dio­cè­se catho­li­que de Shanghai.  C’est ain­si que nous ren­dî­mes ensem­ble pour assi­ster à la « mes­se des morts », célé­brée à l’intérieur d’une gran­de égli­se qui avait été con­strui­re, nous avait-on dit, au cours des années vingt et qui venait tout juste d’être recon­sa­crée et rou­ver­te au cul­te.

À l’entrée de la basi­li­que, Andreotti, qui était tou­jours bien infor­mé, me susur­ra à sa maniè­re : « Ils vien­nent de la remet­tre en ser­vi­ce, cet­te basi­li­que, par­ce qu’elle était deve­nue une usi­ne de trac­teurs pen­dant la révo­lu­tion des Gardes Rouges ». On nous fit pas­ser par une entrée laté­ra­le et nous nous retrou­vâ­mes immé­dia­te­ment dans une immen­se nef rem­plie de nom­breux chi­nois silen­cieux, vêtus pau­vre­ment de leur uni­for­me gris-vert, com­me tant d’autres que nous avions ren­con­tré tout au long du voya­ge ; la plu­part pria­ient à genoux.  On nous con­dui­sit vers un banc en face de l’autel et le célé­brant fit immé­dia­te­ment son entrée, en com­pa­gnie d’une ribam­bel­le d’enfants de chœur.  Les pare­men­ts éta­ient tous rigou­reu­se­ment noirs et à l’entrée, tou­te l’église enton­na, accom­pa­gnée par un orgue, un chant d’entrée en  latin et en gré­go­rien qui me trans­por­ta immé­dia­te­ment à la mai­son.  La mes­se fut célé­brée rigou­reu­se­ment en latin, et la mul­ti­tu­de des fidè­les répon­dait et chan­tait dans cet­te lan­gue qui, me dis-je à l’époque, devait être pour eux par­ti­cu­liè­re­ment iden­ti­tai­re : la « lan­gue de Rome ».

À la fin, on nous escor­ta à la sacri­stie. Nous étions entou­rés par des inter­prè­tes et des gui­des : nom­bre d’entre eux, sans aucu­ne dou­te, éta­ient des « espions ».  Il y avait Andreotti, bien sûr, accom­pa­gné par son épou­se ; et même l’ambassadeur d’Italie était venu.  Nous entrâ­mes dans une sacri­stie à l’ancienne, qui sen­tait le vieux tis­su mais qui était très pro­pre.  Tout de sui­te, un chi­nois habil­lé en prê­tre coif­fé d’une calot­te d’évêque s’avança et s’assis en tête de table.  Il fixa Andreotti et pro­no­nça dans un ita­lien très clair quoiqu’hésitant : « Io sono mon­si­gnor… » et il nous dit son nom que malheu­reu­se­ment je n’ai pas noté et dont je ne me sou­viens pas aujourd’hui.  Puis il ajou­ta, tou­jours en ita­lien : « Sono un gesui­ta ».  Il s’arrêta un moment puis con­ti­nua en chi­nois pen­dant que le tra­duc­teur nous répé­tait ce qu’il disait.  Il nous racon­ta qu’il avait été ordon­né prê­tre avant la fin de la guer­re et que tout de sui­te après, ses supé­rieurs l’avaient envoyé à Rome pour fré­quen­ter l’Université Grégorienne où il décro­cha son diplô­me en 1949.  En par­lant du sémi­nai­re romain, il se mit à égre­ner les noms de cer­tains de ses pro­fes­seurs de cet­te épo­que loin­tai­ne.  C’est à ce moment qu’Andreotti, qui était resté aba­sour­di et bou­ché bée com­me cha­cun d’entre nous en enten­dant l’évêque jésui­te par­ler ita­lien, se mit à discu­ter tran­quil­le­ment avec lui et à évo­quer des anec­do­tes au sujet de ces anciens pro­fes­seurs qu’il avait natu­rel­le­ment lui aus­si con­nu dans le temps.  Ils s’échangèrent quel­ques phra­ses con­ve­nues sur leurs sou­ve­nirs com­muns, puis l’évêque se leva, nous ser­ra la main et sor­tit en silen­ce com­me il était entré.

C’était l’évêque de Shanghai, natu­rel­le­ment auto­ma­ti­que­ment excom­mu­nié par­ce que choi­si et nom­mé par « l’Église patrio­ti­que » et donc pas « en com­mu­nion » avec le pape de Rome : mais en char­ge, en tant que pasteur, de son trou­peau fidè­le à Jésus Christ et à son Église, en ce loin­tain mois de novem­bre 1986. Ce prê­tre jésui­te, qui avait étu­dié à la Grégorienne et qui n’avait pas hon­te d’avoir été nom­mé à cet­te fonc­tion en tant que mem­bre de l’Église fidè­le à la Chine com­mu­ni­ste, n’avait pas eu peur ce matin-là de s’adresser aux repré­sen­tan­ts d’une nation capi­ta­li­ste alliée aux États-Unis et étroi­te­ment appa­ren­tée avec l’Eglise de Rome sans cacher sa fidé­li­té à l’Évangile, et donc éga­le­ment au pape mais aus­si à ses fidè­les et au peu­ple catho­li­que de son pays, bien que « com­mu­ni­ste ».  Je pen­se que ce loin­tain épi­so­de peut par­fai­te­ment expli­quer le choix actuel, mis­sion­nai­re et évan­gé­li­que mais éga­le­ment luci­de­ment cou­ra­geux et uni­ver­sel du Pape François.

 

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 15/03/2018