Paul VI avait raison avec « Humanae vitae ». « L’Osservatore Romano » donne la ligne à suivre

Le 25 juil­let, « Humanae vitae », l’encyclique con­tro­ver­sée pro­mul­guée par Paul VI en 1968 sur la régu­la­tion de la fer­ti­li­té, fête ses cin­quan­te ans tout juste. Et ce même jour, « L’Osservatore Romano » — la quo­ti­dien offi­ciel du Saint-Siège, diri­gé depuis 2007 par Giovanni Maria Vian – l’a rap­pe­lé d’une maniè­re très enga­gée.  Avec un édi­to­rial signé à la une en pre­miè­re page, juste sous le titre, c’est-à-dire à l’endroit où un jour­nal publie non seu­le­ment l’opinion d’un de ses chro­ni­queurs mais où il dic­te sa ligne auto­ri­sée :

> L’enciclica « Humanae vitae » cinquant’anni dopo

Cet arti­cle est signé par Lucetta Scaraffia, pro­fes­seur d’histoire con­tem­po­rai­ne à l’Université de Rome « La Sapienza » et depuis de nom­breu­ses années con­sul­tan­te édi­to­ria­le de « L’Osservatore Romano » ain­si que direc­tri­ce de son sup­plé­ment men­suel « Donne Chiesa Mondo ».

C’est ce même édi­to­rial qui ouvre éga­le­ment les édi­tions heb­do­ma­dai­res en d’autres lan­gues.

Mais outre la signa­tu­re, c’est le con­te­nu de l’article qui est remar­qua­ble. Avec des argu­men­ts qu’on a pas l’habitude de voir dans le lan­ga­ge ecclé­sia­sti­que, il met en lumiè­re la « luci­di­té pro­phé­ti­que » de Paul VI quand il a publié cet­te ency­cli­que ain­si que le cou­ra­ge extraor­di­nai­re dont il a fait pre­u­ve en con­te­stant les uto­pies sexua­li­stes et éco­no­mi­stes domi­nan­tes de son épo­que qui se sont révé­lées vouées à l’échec.

Aujourd’hui que « Humanae vitae » est à nou­veau « mis en piè­ce » au sein de l’Église – com­me le fait remar­quer à juste titre Lucetta Scaraffia – il faut lire la publi­ca­tion de cet édi­to­rial dans « L’Osservatore Romano » com­me une pri­se de posi­tion fai­sant auto­ri­té pour en défen­dre le sens authen­ti­que à l’encontre de la vague révi­sion­ni­ste qui pré­tend en ren­ver­ser l’enseignement, juste au moment où le grand pape qui l’a publiée est sur le point d’être cano­ni­sé.

L’encyclique « Humanae vitae » cinquante ans après

par Lucetta Scaraffia
Dans “L’Osservatore Romano” du 25 juil­let 2018

Cinquante ans après sa publi­ca­tion, l’encyclique “Humanae vitae” de Paul vi se pré­sen­te aux yeux des hom­mes d’aujourd’hui de maniè­re com­plè­te­ment dif­fé­ren­te: en 1968, c’était un docu­ment cou­ra­geux — et donc con­tro­ver­sé — qui allait con­tre l’air du temps, celui de la révo­lu­tion sexuel­le, pour l’accomplissement de laquel­le éta­ient fon­da­men­taux un con­tra­cep­tif sûr et éga­le­ment la pos­si­bi­li­té d’avorter. C’était aus­si le temps où les éco­no­mi­stes par­la­ient de «bom­be démo­gra­phi­que», c’est-à-dire du dan­ger de sur­po­pu­la­tion qui menaçait les pays riches et qui pou­vait rédui­re leur pro­spé­ri­té.

Deux for­ces puis­san­tes, donc, qui se ran­gea­ient con­tre l’encyclique: l’utopie du bon­heur, que la révo­lu­tion sexuel­le pro­met­tait à cha­que être humain, et la riches­se, qui aurait été la con­sé­quen­ce logi­que d’une dimi­nu­tion de la popu­la­tion à vaste échel­le.

Aujourd’hui, cin­quan­te ans après, nous voyons les cho­ses d’une tou­te autre maniè­re. Ces deux visions uto­pi­ques se sont réa­li­sées, mais elles n’ont pas appor­té les résul­ta­ts espé­rés: ni le bon­heur, ni la riches­se, mais plu­tôt de nou­veaux pro­blè­mes dra­ma­ti­ques.

Si l’effondrement de la popu­la­tion dans les pays déve­lop­pés se con­fron­te avec dif­fi­cul­té à l’arrivée de mas­ses d’immigrés néces­sai­res, mais dans le même temps inac­cep­ta­bles pour beau­coup, à par­tir du con­trô­le médi­cal des nais­san­ces a com­men­cé l’invasion de la pro­créa­tion de la part de la scien­ce, avec des résul­ta­ts ambi­gus, sou­vent préoc­cu­pan­ts et dan­ge­reux.

Aujourd’hui, alors que nous payons tou­tes les con­sé­quen­ces d’une bru­sque et for­te déna­ta­li­té et que beau­coup de fem­mes, après des années d’anticonceptionnels chi­mi­ques, ne réus­sis­sent pas à con­ce­voir un enfant, nous nous ren­dons comp­te que l’Eglise avait rai­son, que Paul VI avait été pro­phé­ti­que en pro­po­sant une régu­la­tion natu­rel­le des nais­san­ces qui aurait sau­vé la san­té des fem­mes, la rela­tion de cou­ple et le carac­tè­re natu­rel de la pro­créa­tion.

Aujourd’hui, où les jeu­nes fem­mes pas­sion­nées d’écologie se tour­nent vers des métho­des natu­rel­les de régu­la­tion de la fer­ti­li­té, sans même con­naî­tre l’existence d’“Humanae vitae”, aujourd’hui, où les gou­ver­ne­men­ts cher­chent à réa­li­ser des poli­ti­ques qui favo­ri­sent la nata­li­té, nous devons reli­re l’encyclique avec d’autres yeux. Et au lieu de la voir com­me la gran­de défai­te de l’Eglise face à la moder­ni­té dif­fu­se, nous pou­vons en reven­di­quer la luci­di­té pro­phé­ti­que quand elle a sai­si les dan­gers con­te­nues dans ces chan­ge­men­ts et nous féli­ci­ter, nous catho­li­ques, qu’une fois enco­re l’Eglise n’est pas tom­bée dans le piè­ge allé­chant des uto­pies du XXe siè­cle, mais qu’elle a su en sai­sir immé­dia­te­ment les limi­tes et les dan­gers.

Mais peu de per­son­nes y réus­sis­sent: pour beau­coup, il est enco­re dif­fi­ci­le de se déta­cher de la vieil­le oppo­si­tion entre pro­gres­si­stes et con­ser­va­teurs, au sein de laquel­le l’encyclique a été mise en piè­ces, sans en sai­sir l’esprit cri­ti­que et la for­ce inno­va­tri­ce. Encore main­te­nant, per­son­ne ne sem­ble se rap­pe­ler que, pour la pre­miè­re fois, un Pape a accep­té la régu­la­tion des nais­san­ces et a invi­té les méde­cins à recher­cher des métho­des natu­rel­les et effi­ca­ces.

Il est donc très impor­tant de réus­sir à regar­der “Humanae vitae” avec des yeux nou­veaux, des yeux d’êtres humains qui vivent au XXIe siè­cle, désor­mais con­scien­ts de l’échec de tant d’utopies et de tant de théo­ries éco­no­mi­ques qui ava­ient été pro­po­sées com­me infail­li­bles.

Ce n’est qu’ainsi que nous pou­vons affron­ter les pro­blè­mes actuels de la famil­le, le nou­veau rôle des fem­mes et les rap­ports dif­fi­ci­les entre éthi­que et scien­ce, dont les raci­nes se trou­vent — même si par cer­tains aspec­ts de maniè­re incon­scien­te — dans ce tex­te du loin­tain 1968.

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 27/07/2018