L’Archevêque Forte, le Professeur Melloni et les “quatre cerises” indigestes

L’archevêque et théo­lo­gien Bruno Forte est un ora­cle fia­ble pour com­pren­dre com­ment François agit envers ses détrac­teurs, par­ti­cu­liè­re­ment depuis qu’il a publi­que­ment révé­lé ce que le pape lui avait dit lors du der­nier syno­de où il avait fait offi­ce de secré­tai­re spé­cial:

« Si nous par­lons expli­ci­te­ment de la com­mu­nion don­née aux divor­cés rema­riés, tu n’as pas idée de la pagail­le qu’ils [ses détrac­teurs] vont me met­tre. Alors, évi­tons d’en par­ler clai­re­ment, toi contentes-toi d’en rédi­ger les pré­mis­ses et ensui­te j’en tire­rai moi-même les con­clu­sions. »

Comme nous le savons, François a tiré les con­clu­sions dans l’ex­hor­ta­tion post-synodale “Amoris Laetitia” mais il l’a fait d’u­ne façon tel­le­ment ambi­güe qu’il a iné­vi­ta­ble­ment aggra­vé les posi­tions diver­gen­tes et la con­fu­sion dans tou­te l’Eglise au point d’in­ci­ter qua­tre car­di­naux à lui deman­der publi­que­ment de fai­re la clar­té sur les “dubia” géné­rés par son magi­stè­re liqui­de.

Mais, pour Bruno Forte, ce ne sont pas les affir­ma­tions con­te­nue dans “Amoris lae­ti­tia” qui ont géné­ré les dubia mais ce sont ces der­niers et ceux qui les ont posés qui “sèment le dou­te et la divi­sion chez les catho­li­ques et ail­leurs”.

Ce n’e­st qu’u­ne par­tie des décla­ra­tions que l’ar­che­vê­que et ex-secrétaire spé­cial des deux syno­des sur la famil­le, par ail­leurs hom­me de con­fian­ce de Jorge Mario Bergoglio, a pro­non­cées lors d’u­ne con­fé­ren­ce qu’il a don­né à Rome en l’é­gli­se de San Salvatore in Lauro, intro­dui­te par l’é­vê­que auxi­liai­re du dio­cè­se du Pape, Gianrico Ruzza et au cours de laquel­le a éga­le­ment pris la paro­le, immé­dia­te­ment après lui, l’hi­sto­rien de l’Eglise Alberto Melloni qui est le chef de file de la célè­bre “Ecole de Bologne”.

Le prin­ci­pal argu­ment de Forte pour sou­te­nir la ligne du pape François, c’e­st la con­cor­dan­ce entre ce qui est écrit dans “Amoris lae­ti­tia” et les pro­po­si­tions votées par le syno­de des évê­ques: un “con­sen­sus fide­lium” — a‑t-il ajou­té — duquel se sont reti­rés, sans rai­son, ceux qui ont sou­le­vé les “dubia”.

Voici ses pro­pres décla­ra­tions sur le sujet, retran­scri­tes depuis un enre­gi­stre­ment audio de la con­fé­ren­ce:

“Les poin­ts finaux du syno­de ont été approu­vés par les repré­sen­tan­ts des évê­chés du mon­de entier à une incroya­ble majo­ri­té: pre­sque tous à l’u­na­ni­mi­té et avec au moins les deux tiers pour les plus déli­ca­ts.  François avait les idées clai­res, il savait où il vou­lait arri­ver.  Quand il m’a appe­lé pour être secré­tai­re du syno­de, il m’a dit: “C’est impor­tant pour moi d’y par­ve­nir ensem­ble avec les évê­ques du mon­de entier par­ce que le pape est le ser­vi­teur des ser­vi­teurs de Dieu et que je veux que nous gran­dis­sions ensem­ble.  Ca n’in­té­res­se per­son­ne d’é­cri­re un docu­ment pour l’Eglise sans le che­min que nous avons fait”.  Il s’a­git d’un aspect qui ne doit pas être négli­gé.  Le Pape François a pris la col­lé­gia­li­té au sérieux.  Certains ont cal­cu­lé que l’ex­hor­ta­tion post-synodale est com­po­sée à 85 pour­cen­ts des tex­tes du rap­port final du syno­de.  Il s’a­git de tex­tes qui ont été éla­bo­rés col­lé­gia­le­ment  par les évê­ques du mon­de entier ras­sem­blés autour de Pierre.  Nous nous trou­vons donc véri­ta­ble­ment devant un ‘sen­sus’, un ‘con­sen­sus fide­lium’ impres­sion­nant.  Voilà pour­quoi les ‘dubia’, sou­ter­rains, font pla­ner le dou­te sur ceux qui les ont sou­le­vés par­ce qu’au­cun d’eux n’é­tait absent du syno­de et qu’ils n’ont pas vu quel­le gran­de ten­sion de com­mu­nion il y avait”.

Naturellement, Forte n’a pas fait la moin­dre allu­sion à la façon dont le dou­ble syno­de a été mani­pu­lé par le haut, au point de cau­ser entre autres un inci­dent majeur à la moi­tié de la pre­miè­re ses­sion – lor­sque ce même Forte fut accu­sé en public par le car­di­nal rap­por­teur Peter Erdo d’a­voir rédi­gé de sa pro­pre ini­tia­ti­ve une par­tie de la “rela­tio post discep­ta­tio­nem” — et de façon enco­re plus fla­gran­te quand trei­ze car­di­naux en appe­lè­rent au pape dans une let­tre de pro­te­sta­tion dès l’ou­ver­tu­re de la secon­de ses­sion.

Il n’a pas non plus fait men­tion du carac­tè­re anor­mal de cet­te soi-disant “col­lé­gia­li­té” qui a pro­duit des tex­tes dont les poin­ts les plus con­tro­ver­sés ont été reje­tés par pre­sque un tiers des pères syno­daux et qui ne sont pas­sés qu’à quel­ques votes près grâ­ce à une ambi­guï­té et à des réti­cen­ces de lan­ga­ge enco­re plus pro­non­cées que cel­les qui se sont ensui­te retrou­vées dans “Amoris lae­ti­tia”.

Au lieu de cela, entrant dans le vif du sujet, Forte a reje­té les accu­sa­tions de “rela­ti­vi­sme” adres­sées au pape et à son “Qui suis-je pour juger?”.

Et il l’a fait en se réfé­rant à ce “grand jésui­te” qu’é­tait Karl Rahner et à Saint Ignace de Loyola dans les pas duquel François mar­che à l’en­con­tre du rela­ti­vi­sme pui­squ’il “con­ju­gue l’ab­so­lu de la véri­té avec l’ab­so­lu de la cha­ri­té dans un tra­vail quo­ti­dien de discer­ne­ment dont per­son­ne ne devrait se sen­tir exclu”.

On peut pré­su­mer avec une cer­tai­ne cer­ti­tu­de que ce que Forte a expri­mé cor­re­spon­de à ce que pen­se le pape François des objec­tions des qua­tre car­di­naux, et des autres.

*

L’intervention du Professeur Melloni, qui a immé­dia­te­ment fait sui­te à cel­le de Forte, et le ton moqueur avec lequel il s’en est pris aux qua­tre car­di­naux des “dubia” tra­dui­sait quant à elle moins direc­te­ment la pen­sée de François mais expri­mait en revan­che très clai­re­ment le sen­ti­ment de la cour pon­ti­fi­ca­le.

“Certaines com­po­san­tes de l’Eglise – a‑t-il dit en par­lant d’eux – ont l’art de se con­si­dé­rer com­me la moi­tié de l’Eglise.  C’est un peu com­me si la ceri­se se croyait la moi­tié du ceri­sier”.

Et de ren­ché­rir en affir­mant que “les qua­tre ceri­ses que je citais tout à l’heu­re” n’ont rien com­pris au fameux dic­ton de Jean XXIII: “ce n’e­st pas l’Evangile qui chan­ge mais nous qui chan­geons dans le temps” ni de “l’au­then­ti­que auto­ri­té doc­tri­na­le” que François recon­naît non seu­le­ment aux syno­des mais éga­le­ment aux con­fé­ren­ces épi­sco­pa­les.

La seu­le cho­se que ces cro­ient ces quatre-là, selon Melloni, c’e­st que “le rôle du magi­stè­re soit de fai­re la som­me algé­bri­que entre les affir­ma­tions d’u­ne ency­cli­que et d’u­ne autre”.

Malheureusement, s’e­st plaint le pro­fes­seur, ces quatre-là se sont dotés d’u­ne cais­se de réson­nan­ce dispro­por­tion­née qui “tran­sfor­me leurs pec­ca­dil­les en une moi­tié de la réa­li­té”.  Il a fait état de sa ren­con­tre en Chine avec les sémi­na­ri­stes de Shanghai “qui ne sava­ient pas grand-chose sur Amoris lae­ti­tia’ mais qui éta­ient par­fai­te­ment au cou­rant des ‘dubia’.  Pour eux, les ‘dubia’ éta­ient des cho­ses sérieu­ses et gra­ves tan­dis que le tex­te d’Amoris lae­ti­tia en revan­che leur sem­blait un peu excen­tri­que.”

Melloni a ensui­te con­clu:

“Ce qui frap­pe le plus dans ces ‘dubia’ ce n’e­st pas tel­le­ment que quel­qu’un les sou­lè­ve, même si je trou­ve très inap­pro­prié l’in­stru­ment même des que­stions posées au pape.  Les évê­ques et les car­di­naux ont par­fai­te­ment le droit et même le devoir de dire au pape ce qu’ils pen­sent mais trai­ter le pape com­me un accu­sé, com­me dans les pro­cès, non, cela ils n’ont pas le droit de le fai­re, ça n’ai­de pas du tout.”

Un arti­cle de Sandro Magister, vati­ca­ni­ste à L’Espresso.

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Date de publication: 20/03/2017