Il y a cinq ans, le Pape avait déjà en tête les conclusions du Synode sur l’Amazonie

À la veil­le du vote du docu­ment final du syno­de sur l’Amazonie, la que­stion de savoir quel­les seront les prin­ci­pa­les inno­va­tions sou­mi­ses à l’approbation du Pape a déjà une répon­se pré­vi­si­ble.

En effet, aus­si bien la con­cep­tion de ce syno­de que son objec­tif – l’ordination de prê­tres mariés et nou­veaux mini­stè­res pour les fem­mes – éta­ient déjà en gesta­tion à l’audience du 4 avril 2014 entre le Pape François et l’évêque autri­chien émi­gré au Brésil Erwin Kraütler.

Nous con­nais­sons à pré­sent le détail du dérou­le­ment de cet­te audien­ce et de ses déve­lop­pe­men­ts ulté­rieurs grâ­ce à un livre que Mgr Kraütler lui-même a publié à l’occasion de ce syno­de.

Pour com­pren­dre com­ment l’histoire et l’issue du syno­de sur l’Amazonie éta­ient déjà écri­tes à l’époque, il suf­fit de par­cou­rir les pages de ce livre, com­me l’a fait Maike Hickson dans « LifeSite News » le 22 octo­bre, dans la cri­ti­que que nous repro­dui­sons ci-dessous :

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L’architecte du Synode révèle comment le Pape François pourrait « ouvrir une porte » à l’ordination des femmes

de Maike Hickson

Erwin Kraütler, l’évêque émé­ri­te du dio­cè­se de Xingu au Brésil, vient de publier un nou­veau livre con­sa­cré au Synode sur l’Amazonie et sur à ses résul­ta­ts.  Son livre s’intitule « Le renou­veau c’est main­te­nant.  Les impul­sions du syno­de sur l’Amazonie pour la Réforme de l’Église ».

Dans sa nou­vel­le publi­ca­tion, Mgr Kraütler répè­te son appel pour des prê­tres mariés, des fem­mes dia­cres ain­si que des fem­mes prê­tres.  C’est dans ce con­tex­te qu’il évo­que le rôle impor­tant que les fem­mes jouent déjà dans l’Église de sa pro­pre région, le Brésil.  Voici ce qu’il écrit pour dénon­cer le fait que les fem­mes aient trop peu droit à la paro­le dans l’Église catho­li­que :

« Souvent, je fais réfé­ren­ce au fait que chez nous, dans notre dio­cè­se de Xingu, les cho­ses se pas­sent très dif­fé­rem­ment.  Là-bas, les fem­mes pré­si­dent les Liturgies de la Parole et que, ce fai­sant, elles pro­non­cent aus­si l’homélie.  Mais cet­te expé­rien­ce au Brésil et peut-être éga­le­ment ail­leurs n’est tout au plus qu’un rayon de lumiè­re ténu et est enco­re très loin d’être le signe ce cet­te nou­vel­le aube que nous atten­dons depuis si long­temps. »

Il se dit « con­vain­cu qu’une éga­le digni­té de la fem­me en ce qui con­cer­ne les mini­stè­res ordon­nés vien­dra ».

« Et j’espère », pour­suit l’évêque, « que le Synode sur l’Amazonie ouvri­ra de nou­veaux che­mins pour cela, ou au moins qu’il fera quel­ques pas dans la bon­ne direc­tion ».

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Mgr Kraütler se rap­pel­le sa ren­con­tre avec le pape François le 4 avril 2014, une ren­con­tre qui allait être un moment cru­cial dans l’histoire de l’actuel Synode pan-amazonien, et il mon­tre com­ment tous les suje­ts qu’il avait por­té à l’attention du Pape François ont été aujourd’hui inclus dans le Synode sur l’Amazonie.

En racon­tant son audien­ce pri­vée avec le Pape François, l’évêque autri­chien rap­pel­le tout d’abord que c’était en fait son pro­pre con­seil­ler théo­lo­gi­que, le P. Paulo Suess, qui peu avant l’audience, avait par­lé à François du man­que de prê­tres en Amazonie.  C’est alors que le Pape a dit « qu’il atten­dait des évê­ques qu’ils lui fas­sent des pro­po­si­tions con­crè­tes et cou­ra­geu­ses. »  Et, en riant, le Pape François a ensui­te deman­dé à Mgr Kraütler s’il se sou­ve­nait que lui aus­si avait uti­li­sé le même mot – « Corajudos » [que Mgr Kraütler tra­duit par les mots « cou­ra­geux, auda­cieux »] – dans son discours aux JMJ de Rio de Janeiro le 27 juil­let 2013.

L’évêque autri­chien racon­te éga­le­ment avoir pré­sen­té trois poin­ts au Pape : « la situa­tion [et les droi­ts] des peu­ples indi­gè­nes d’Amazonie » ; « l’Amazonie et l’écologie » et « les parois­ses sans Eucharistie », c’est-à-dire le man­que de prê­tres.  C’est à ce moment, à pro­pos du troi­siè­me point, que le Pape a deman­dé à Mgr Kraütler s’il avait une pro­po­si­tion spé­ci­fi­que à fai­re.  Après que Mgr Kraütler ait sim­ple­ment répon­du qu’il fal­lait trou­ver une maniè­re pour fai­re en sor­te que ces parois­ses ne soient pas exclues de l’Eucharistie, le Pape a fait réfé­ren­ce à « un évê­que à Mexico ; Mgr Samuel Ruiz de San Cristóbal de las Casas, aujourd’hui décé­dé », et que Mgr Kraütler con­nais­sait.  Mgr Ruiz avait ordon­né dia­cres per­ma­nen­ts des cen­tai­nes d’indigènes mariés et qui ne fai­sa­ient que diri­ger leurs pro­pres parois­ses.  Cette pra­ti­que avait été inter­rom­pue par le Vatican en 2001.

Le Pape François a ensui­te deman­dé à Mgr Kraütler pour­quoi ces dia­cres ne pou­va­ient pas éga­le­ment célé­brer la Sainte Messe, ce à quoi l’évêque a répon­du : « par­ce qu’ils sont mariés ».  C’est alors que le Pape François lui-même a res­sor­ti les idées d’un autre évê­que, Mgr Fritz Lobinger qui avait ima­gi­né une « Equipe d’Anciens » à la tête d’une parois­se, ordon­nés [prê­tres] et qui pour­ra­ient donc célé­brer la mes­se.  Ces « Anciens », selon les idées de Lobinger, pour­ra­ient être mariés – et être aus­si bien des hom­mes que des fem­mes.

Il est signi­fi­ca­tif que le Pape François ait mis sur la table les idées d’un hom­me qui appe­lait expli­ci­te­ment à l’ordination de fem­mes à la prê­tri­se.  Mais il est aus­si signi­fi­ca­tif qu’il discu­tait déjà des idées de Lobinger en 2014, alors qu’en 2019, il décla­re­ra dans une con­fé­ren­ce de pres­se dans l’avion : « je ne dis pas que ça devrait être fait, par­ce que je n’y ai pas réflé­chi, je n’ai pas prié suf­fi­sam­ment sur le sujet ».

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On pour­rait peut-être affir­mer qu’il s’agit du Synode de Kräutler.

Mgr Kraütler affir­me : « Pour nos indi­gè­nes du Brésil, il est abso­lu­ment mer­veil­leux que le Pape François ait sui­vi tou­tes les deman­des que j’ai pu lui pré­sen­ter [en 2014] pen­dant mon audien­ce pri­vée à Rome. »

Mais Mgr Kraütler a éga­le­ment des mots déni­gran­ts pour les « Romains » dans le con­seil pré-synodal char­gé de pré­pa­rer le Synode sur l’Amazonie et qui comp­tait dix-huit mem­bres, nom­bre d’entre eux issus d’Amérique lati­ne et cer­tains de la Curie romai­ne.  Il s’agissait d’un grou­pe d’experts latino-américains qui avait pré­pa­ré une pre­miè­re ver­sion des « Lineamenta » (docu­ment pré­pa­ra­toi­re) pour le Synode sur l’Amazonie mais leurs idées ava­ient ren­con­tré une cer­tai­ne rési­stan­ce.  En décri­vant la façon dont l’équipe pré-synodale a tra­vail­lé sur ce docu­ment pré­pa­ra­toi­re en avril 2018, Mgr Kraütler a décla­ré : « Parfois, il y avait des diver­gen­ces d’opinion, sur­tout avec les ‘Romains’ ».

L’évêque autri­chien a ensui­te enfon­cé le clou en décri­vant la réu­nion du con­seil pré-synodal de mai 2019 qui avait pour but de discu­ter des ver­sions pré­pa­ra­toi­res de l’« Instrumentum labo­ris », le docu­ment de base pour les tra­vaux du syno­de.

« Les discus­sions n’ont pas été tou­jours faci­les », écrit le pré­lat autri­chien.  « Parfois, nous avons sen­ti un vent con­trai­re gla­cial ».  Et de pour­sui­vre pour expli­quer ses décla­ra­tions : « Le pro­blè­me est tou­jours le même : des opi­nions basées sur une pasto­ra­le de plu­sieurs années au con­tact direct du Peuple de Dieu qui vient se heur­ter aux nor­mes froi­des, aux canons, aux para­gra­phes bran­dis par des mem­bres de la Curie romai­ne qui ne con­nais­sent l’Amérique lati­ne que du point de vue tou­ri­sti­que et qui n’ont pro­ba­ble­ment jamais tra­vail­lé direc­te­ment sur le ter­rain en pasto­ra­le dans un parois­se. »

Mgr Kraütler insi­ste sur le fait que son pro­pre grou­pe « a com­bat­tu bra­ve­ment » et a fina­le­ment pu bou­cler le docu­ment de tra­vail du syno­de.  Mais il a été enco­re plus sati­sfait quand, les 14–15 novem­bre 2018, s’est dérou­lé à Manaus une réu­nion du con­seil pré-synodal ras­sem­blant les pré­si­den­ts de tou­tes les con­fé­ren­ces régio­na­les de l’Amazonie bré­si­lien­ne.  Le car­di­nal Lorenzo Baldisseri, Secrétaire géné­ral du Synode des Évêques, avait fait le dépla­ce­ment depuis de Rome.  « Cette réu­nion », expli­que Kraütler, « m’a don­né davan­ta­ge d’espoir qu’on puis­se, mal­gré tout, avan­cer sur le pro­blè­me des parois­ses sans Eucharistie et sur les con­di­tions pour l’admission aux mini­stè­res ordon­nés ».

« Parce que sou­dai­ne­ment », poursuit-il, « les évê­ques qui n’avaient pas enco­re dit grand-chose sur ce sujet ont sou­dain fait enten­dre leur voix.  Comme on s’y atten­dait, le car­di­nal Baldisseri a sou­le­vé plu­sieurs objec­tions et a fait réfé­ren­ce aux décla­ra­tions de plu­sieurs papes.  Mais à ce moment, deux évê­ques – dom Edson de São Gabriel da Cachoeira (Amazonie) dt Dom Filipe de Miracema do Norte (Tocantins) – ont répon­du et ont rési­sté, tout com­me Pierre l’a fait avec Paul à Antioche, ‘s’opposant ouver­te­ment’ (Gal 2:11) à Son Éminence. »

Selon l’évêque autri­chien, le P. Filipe s’était pré­pa­ré en met­tant par écrit un tex­te et « a décla­ré tout de go : ‘les con­di­tions actuel­les pour l’admission aux mini­stè­res ordon­nés doi­vent être revues !’ ».

Pour ce pré­lat, « la tra­di­tion » a un mau­vais goût.  Il pro­po­se de se débar­ras­ser du « lest accu­mu­lé au cours des siè­cles, que nous avec notre Église sup­por­tons à grand-peine et que cer­tains dans les milieux de droi­te défen­dent au nom de la ‘tra­di­tion’ ».

Il pro­po­se à pré­sent avec assu­ran­ce que le Synode sur Amazonie se débar­ras­se de tout ce qui est « super­flu ».

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En ce sens, Mgr Kraütler révè­le dans son nou­veau livre que, pen­dant les réu­nion du con­seil pré-synodal, « en pré­sen­ce du pape, j’ai insi­sté pour inclu­re l’ordination de fem­mes dia­cres dans le docu­ment final [du Synode Amazonien]. »  Cependant, le car­di­nal Baldisseri a insi­sté sur le fait qu’il serait « pré­fé­ra­ble de lais­ser d’abord les ‘gens’ d’Amazonie répon­dre d’abord aux que­stions que nous leur posons plu­tôt que d’anticiper leurs répon­ses ».

Pour Kraütler, le dia­co­nat fémi­nin est un objec­tif incon­tour­na­ble du Synode sur l’Amazonie pui­sque « réa­li­sti­que­ment, nous ne ferons pas d’avancées sub­stan­tiel­les con­cer­nant la prê­tri­se des fem­mes.  J’ai de la pei­ne pour le Pape François, par­ce que le Pape Jean-Paul II a affir­mé sans équi­vo­que que l’Église n’avait pas l’autorité pour ordon­ner des fem­mes à la prê­tri­se. »  Maintenant, le Pape François, « est lié par cet­te déci­sion », a ajou­té le pré­lat, « en ce qui con­cer­ne l’accès des fem­mes à la prê­tri­se ».  Mais, en ce qui le con­cer­ne, il pen­se tou­jours que cet­te affir­ma­tion « n’est pas un dog­me ».

Quant à la que­stion de rester loyal à la Révélation, Mgr Kraütler a sa peti­te idée.  Cette que­stion « ne signi­fie pas réel­le­ment que tous les rites et les nor­mes de l’Églises pri­mi­ti­ve sont enco­re con­trai­gnan­ts pour nous au sens où elles l’étaient à l’époque ».  Il rejet­te ici expli­ci­te­ment l’admonition de Saint-Paul selon laquel­le « les fem­mes devra­ient gar­der le silen­ce dans les assem­blées » (1 Cor 14 :33–34).  « Si cet­te règle était enco­re en vigueur », argumente-t-il, « qu’est-ce qui se pas­se­rait dans les parois­ses d’Amazonie et d’ailleurs qui sont diri­gées par des fem­mes dans deux tiers des cas ? ».  Cet évê­que affir­me même que ce pas­sa­ge de Saint Paul n’aurait été ajou­té que tar­di­ve­ment, met­tant ain­si en dou­te son authen­ti­ci­té.

Le pré­lat autri­chien sug­gè­re en outre que l’église du XXe siè­cle a aban­don­né de nom­breux ensei­gne­ment de l’Église du XIXe, notam­ment en ce qui con­cer­ne la posi­tion de l’Église par rap­port à la démo­cra­tie (Pape Saint Pie X), ou enco­re en matiè­re de liber­té reli­gieu­se (« Dignitatis Humanae »), ain­si que d’autres nou­veau­tés intro­dui­tes par le Concile Vatican II qui aura­ient été jugées héré­ti­ques à l’époque du Premier Concile. »

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Dans son auda­ce, Mgr Kraütler don­ne en fait rai­son aux « peurs des cer­cles con­ser­va­teurs » au sein de l’Église catho­li­que – citant expli­ci­te­ment cer­tains écri­ts de Sandro Magister et de Giuseppe Nardi (Katholisches.info) — et en par­ti­cu­lier con­cer­nant leurs crain­tes que le « labo­ra­toi­re sur l’Amazonie » ait pour but d’attenter au sacre­ment de l’Ordre.  « Ce qui est ici pré­sen­té com­me une gran­de crain­te », écrit Kraütler, « je le regar­de dans une atti­tu­de d’espérance.  Le Synode sur l’Amazonie pour­rait bien pro­vo­quer une avan­cée histo­ri­que dans l’Église uni­ver­sel­le. »

Il con­clut alors avec ce qu’il espè­re que le Pape François fera pro­ba­ble­ment.  En pre­miè­re lieu, il espè­re que le Pape écou­te­ra les par­ti­ci­pan­ts au syno­de.  « Si nous pré­sen­tons nos deman­des avec insi­stan­ce, le Pape pour­rait, com­me il l’a fait au syno­de sur la famil­le, ouvrir une por­te en disant : ‘Maintenant, vous les évê­ques, vous avez la pos­si­bi­li­té de fai­re ce que vous esti­mez néces­sai­re’ ».  Il revien­drait donc aux con­fé­ren­ces épi­sco­pa­les régio­na­les de dire : Oui, la situa­tion chez nous est tel­le qu’il est bon que nous recou­rions à la pos­si­bi­li­té que le Pape nous a don­né d’’ordonner des ‘viri pro­ba­ti’ et des fem­mes dia­cres ».

Ici, Mgr Kraütler fait un lien avec l’exhortation post-synodale « Amoris lae­ti­tia » du Pape François dans laquel­le il a per­mis que les con­fé­ren­ces épi­sco­pa­les régio­na­les – com­me la Conférence épi­sco­pa­le alle­man­de – auto­ri­sent cer­tains cou­ples divor­cés et rema­riés à rece­voir la Sainte Communion, mal­gré le fait qu’ils vivent dans objec­ti­ve­ment en état d’adultère.

Vu com­ment Mgr Kraütler a pu si faci­le­ment obte­nir du Pape François qu’il orga­ni­se un syno­de sur base des trois poin­ts tels qu’il les a pré­sen­tés au Pape en 2014, on peut fort bien s’attendre à lire une con­clu­sion et une pro­po­si­tion sem­bla­ble à cel­le qu’il décrit aus­si bien dans le rap­port final du Synode que dans l’exhortation post-synodale du Pape François qui ne tar­de­ra cer­tai­ne­ment long­temps pas à arri­ver.

Un arti­cle de Sandro Magister, vati­ca­ni­ste à L’Espresso.

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Date de publication: 24/10/2019