Bassetti président. L’histoire inédite de comment on y est arrivé

Avec la nomi­na­tion du car­di­nal Gualtiero Bassetti, 75 ans, arche­vê­que de Pérouse-Città del­la Pieve, à la tête de la Conférence épi­sco­pa­le ita­lien­ne (CEI), on a inau­gu­ré la nou­vel­le moda­li­té de dési­gna­tion du pré­si­dent des évê­ques de la nation dont le pape est le pri­mat, entrée en vigueur en 2015.

Auparavant, la nomi­na­tion était une pré­ro­ga­ti­ve exclu­si­ve du pape.

En mai 1984, la con­fé­ren­ce épi­sco­pa­le avait essayé de chan­ger cet usa­ge, après avoir été encou­ra­gée par Jean-Paul II lui-même à orga­ni­ser un « vote con­sul­ta­tif » sur les nou­vel­les moda­li­tés de nomi­na­tion du pré­si­dent et du secré­tai­re.

On décou­vre ain­si que l’idée de fai­re éli­re le pré­si­dent direc­te­ment par l’assemblée était par­ta­gée par une lar­ge majo­ri­té des évê­ques mais néan­moins infé­rieu­re aux deux tiers requis pour modi­fier les sta­tu­ts. Il y eut 185 votan­ts (sur 226 élec­teurs), la majo­ri­té était à 151, il y eut 145 oui, 36 non et 4 bul­le­tins blancs.

Pour l’élection direc­te du secré­tai­re, il y eut en revan­che une majo­ri­té des deux tiers avec 158 votes.  Mais fina­le­ment, Jean-Paul II pré­fé­ra lais­ser les cho­ses en l’état par­ce qu’il avait à cœur d’imprimer à la CEI l’orientation qu’il sou­hai­tait avec des diri­gean­ts qu’il aurait lui-même nom­més.

C’est ain­si qu’on arri­ve au mois de mai 2013 quand le pape François, lors de sa pre­miè­re ren­con­tre avec le CEI, deman­da aux évê­ques de repren­dre le débat depuis le début.

Voici com­ment les cho­ses se sont pas­sées.

En sep­tem­bre 2013, le con­seil per­ma­nent de la CEI, c’est-à-dire la tren­tai­ne d’évêques qui en for­ment l’exécutif, orga­ni­sa une vaste con­sul­ta­tion de tous les évê­ques dans les con­fé­ren­ces épi­sco­pa­les régio­na­les.

Le con­seil per­ma­nent de jan­vier 2014 tira les con­clu­sions de la con­sul­ta­tion et con­sta­ta que l’orientation qui pré­va­lait était de con­fier la nomi­na­tion au pape sur base d’une liste de can­di­da­ts indi­qués par les évê­ques par vote indi­vi­duel et secret : une liste qui serait remi­se au pape dans son inté­gra­li­té ou bien rédui­te au quin­ze noms ayant réu­ni le plus de suf­fra­ges au cours d’une sélec­tion ulté­rieu­re de la part de l’assemblée.

Au mois de mars sui­vant, le con­seil per­ma­nent déci­da de pro­po­ser à l’assemblée géné­ra­le pré­vue pour mai de voter sur la pro­po­si­tion de fai­re écri­re à cha­que évê­que le nom de son can­di­dat, de le glis­ser dans une enve­lop­pe fer­mée et de remet­tre les enve­lop­pes au pape qui serait le seul habi­li­té à en lire le con­te­nu avant de pro­cé­der à la nomi­na­tion.

Et de fait, au cours de l’assemblée géné­ra­le du 19–22 mai 2014, c’est cet­te que­stion qui a fait l’objet des déba­ts. Mais cer­tains ava­ient vu dans le discours d’ouverture de l’assemblée du pape François une invi­ta­tion à ce que les évê­ques éli­sent leur pro­pre pré­si­dent com­me cela se fait ail­leurs dans le mon­de.  Ce qui enflam­ma immé­dia­te­ment les déba­ts qui s’ouvrirent le 20 mai au matin et s’achevèrent le soir du 21.

Parmi les nom­breux inter­ve­nan­ts, une dou­zai­ne d’évêques — Mogavero, Valentinetti, Forte, Todisco, Pisanello, De Vivo, Cascio, Santoro, Regattieri, Mondello, Nunnari, Tiddia – se pro­non­cè­rent en faveur de l’élection direc­te. Pizziolo n’était pas d’accord.  Merisi était favo­ra­ble à la pro­po­si­tion de départ.  Betori, au nom des évê­ques de Toscane, le sou­te­nait lui aus­si mais pro­po­sa non pas une mais deux scru­tins pour restrein­dre la liste des noms à remet­tre au pape.

Miglio, au nom des évê­ques de Sardaigne, lança l’idée que l’assemblée vote une ter­na de can­di­da­ts à sou­met­tre au pape. Bressan, Staglianò et Negri lui appor­tè­rent leur sou­tien.  Bassetti et Sorrentino dirent que cet­te idée était éga­le­ment cel­le des évê­ques d’Ombrie.  D’Ercole et Lovignana deman­dè­rent le temps de la réfle­xion.

Les posi­tions éta­ient diver­ses et variées. C’est ain­si que la pré­si­den­ce de la CEI – après avoir répé­té que les paro­les du pape ne visa­ient pas à indi­quer une quel­con­que pré­fé­ren­ce mais seu­le­ment à fai­re part de son expé­rien­ce en Argentine – pro­po­sa de sou­met­tre cinq hypo­thè­ses au vote:

a) Un vote secret avec remi­se de tous les bul­le­tins fer­més au pape ;
b) Un vote en deux temps : un pre­mier pour sélec­tion­ner une dizai­ne de noms et un second pour asso­cier à cha­que nom les pré­fé­ren­ces respec­ti­ves, le tout à tran­smet­tre de façon secrè­te au pape ;
c) Un vote en deux temps : le pre­mier pour sélec­tion­ner une dizai­ne de noms et le second pour restrein­dre la liste à trois can­di­da­ts, le tout à tran­smet­tre de façon ouver­te au pape ;
d) Un vote sur trois noms à sou­met­tre au pape ;
e) Une élec­tion direc­te d’un seul nom.

204 élec­teurs pri­rent part au vote dont voi­ci les résul­ta­ts :

a) 55 votes;
b) 33 votes;
c) 19 votes;
d) 24 votes;
e) 73 votes.

Une majo­ri­té rela­ti­ve opta donc pour l’élection direc­te mais elle était très loin des deux tiers néces­sai­res pour modi­fier les sta­tu­ts.

La pré­si­den­ce de la CEI pro­po­sa alors un second vote d’orientation avec deux hypo­thè­ses très dif­fé­ren­tes entre elles :

a) Le pape nom­me le pré­si­dent après avoir con­sul­té les mem­bres de la CEI selon des moda­li­tés à défi­nir dans le règle­ment ;
b) Le pré­si­dent est élu direc­te­ment par les évê­ques.

Cette fois, 206 évê­ques votè­rent et le résul­tat fut pre­sque par­fai­te­ment par­ta­gé :

a) 102 votes ;
b) 104 votes.

La situa­tion était dans une impas­se tota­le. Le car­di­nal Angelo Bagnasco, pré­si­dent de la CEI, pro­po­sa alors deux alter­na­ti­ves :

a) Un vote défi­ni­tif avec le risque de ne pas attein­dre les deux tiers et donc de don­ner au médias l’image d’un épi­sco­pat divi­sé ;
b) Un ren­voi de la que­stion à l’assemblée extraor­di­nai­re sui­van­te de la CEI pré­vue en novem­bre.

Les déba­ts repri­rent. Vallini était pour le ren­voi à cau­se de l’image néga­ti­ve et dérou­tan­te que les médias aura­ient don­né d’une Eglise divi­sée, com­me ce qui se pro­duit en poli­ti­que.  D’Ambrosio par­ta­geait les préoc­cu­pa­tions de Vallini mais sou­hai­tait pour la même rai­son que le vote ne fût pas ren­voyé.  Même Sanguinetti était en faveur du ren­voi mais pro­po­sa cepen­dant de pren­dre en con­si­dé­ra­tion la pro­po­si­tion de voter une ter­na à sou­met­tre au pape, une pro­po­si­tion éga­le­ment pré­co­ni­sée par Betori com­me étant un bon com­pro­mis.  Même Monari est pour la ter­na, pour­vu que cha­que can­di­dat obtien­ne au moins la moi­tié plus une du total des voix.

Forte affir­ma que la ter­na plon­ge­rait le pape dans l’embarras et pro­po­sa de deman­der expli­ci­te­ment con­seil au Saint-Père. Giuliodori et Di Cerbo se décla­rè­rent favo­ra­bles à cet­te der­niè­re pro­po­si­tion.  Mais D’Ambrosio et Brugnano pres­sè­rent pour que l’on déci­dât tou­te de sui­te.  Sigalini rap­pel­la qu’il ne fal­lait pas se pres­ser.  Moraglia et Parmeggiani insi­stè­rent qu’il serait bien de voter immé­dia­te­ment.  Padovano sug­gè­ra de réé­cou­ter le discours d’introduction du pape.  Raspanti rela­nça l’idée de la ter­na.  Molinari évo­qua même l’idée tirée des Actes des apô­tres : tirer au sort.  Todisco anno­nça le retrait de son amen­de­ment en faveur de l’élection direc­te.  Bassetti esti­ma qu’il est gra­ve qu’on ne par­vien­ne pas à une déci­sion.  Sepe défen­dit l’hypothèse de la ter­na avec un seuil de cin­quan­te pour cent.

A ce moment, le car­di­nal Bagnasco, vu la tour­nu­re des déba­ts, déci­da de sou­met­tre à un vote uni­que l’hypothèse que le pré­si­dent soit élu direc­te­ment par les évê­ques ain­si que cel­le que le pape choi­sis­se dans une ter­na de per­son­nes qui aura­ient été cha­cun élues à la majo­ri­té abso­lue. Et Radaelli sou­li­gna que dans le second cas, on pour­rait adop­ter le modè­le de scru­tin déjà uti­li­ser dans la CEI pour éli­re le vice-président, un modè­le qui pré­voit un nom­bre déter­mi­né de votes plus un bal­lot­ta­ge éven­tuel pour cha­que nom de la ter­na.

Le vote déci­sif sui­vit. Il y eu 190 par­ti­ci­pan­ts et 187 bul­le­tins vali­des, 2 votes blancs et 1 bul­le­tin nul.  L’option de la ter­na récol­ta 156 « pla­cet » tan­dis que cel­le de l’élection direc­te n’en récol­ta que 31.

C’est ain­si que fut adop­té le systè­me expé­ri­men­té pour la pre­miè­re fois cet­te semai­ne, avec l’élection le 23 mai d’une ter­na com­po­sée du car­di­nal Bassetti (134 votes au bal­lo­ta­ges), de l’évêque Franco Giulio Brambilla (115 votes au second tour) et du car­di­nal Francesco Montenegro (126 votes au pre­mier tour).  Et avec la nomi­na­tion par le pape, le 24 mai, de l’un des trois, soit le pre­mier de la liste.

Un arti­cle de Sandro Magister, vati­ca­ni­ste à L’Espresso.

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Date de publication: 26/05/2017