Peu de joie et beaucoup d’invectives. François expliqué par le Père Spadaro

La pré­sen­ta­tion offi­ciel­le de « Gaudete et exsul­ta­te » à la sal­le de pres­se du Vatican — la troi­siè­me exhor­ta­tion apo­sto­li­que du Pape François après « Evangelii gau­dium » et « Amoris lae­ti­tia » — fut un exer­ci­ce tota­le­ment inu­ti­le, aus­si bien à cau­se de la nul­li­té de ce qui a été dit, et qui n’a d’ailleurs même pas été citées dans le bul­le­tin habi­tuel que par l’insignifiance de ceux qui ont pris la paro­le : le vicai­re du dio­cè­se de Rome Angelo De Donatis, l’ex-présidente de l’Action catho­li­que ita­lien­ne Paola Bignardi et le jour­na­li­ste Gianni Valente, ce der­nier étant un ami pro­che de Jorge Mario Bergoglio déjà avant qu’il soit élu pape. Tous trois don­na­ient l’impression d’avoir seu­le­ment lu à l’avance le docu­ment qu’ils deva­ient pré­sen­ter sans savoir grand-chose de plus.

En com­pen­sa­tion, cepen­dant, le direc­teur de « Civiltà Cattolica », le jésui­te Antonio Spadaro, est arri­vé pour rem­plir le vide lais­sé par la pré­sen­ta­tion offi­ciel­le.

En fait, le Père Spadaro a mis en ligne le même jour sur le site web de sa revue – qui para­ît avec l’imprimatur du Pape – une pré­sen­ta­tion de son cru en qua­tre lan­gues de « Gaudete et exsul­ta­te » qui annon­ce déjà dès son titre en révé­ler les « raci­nes, la struc­tu­re et le sens ».  Et il l’a fait avec une tel­le exhau­sti­vi­té et une tel­le pré­ci­sion d’informations que c’est à se deman­der si la com­pi­la­tion ini­tia­le du docu­ment papal n’est pas de lui ou peu s’en faut.

Il n’y a rien dans « Gaudete et exsul­ta­te » que le Pape Bergoglio n’ait déjà dit ou écrit, même dans ses jeu­nes années. Et Spadaro en four­nit la liste :

  • La pre­miè­re inter­view du Pape François à la « Civiltà Cattolica » d’août 2013 ;
  • L’idée de « sain­te­té de la por­te d’à côté » repri­se par l’écrivain fra­nçais Joseph Malègue, cher à Bergoglio ;
  • Certains pas­sa­ges d’ « Evangelii gau­dium », le docu­ment pro­gram­me du pon­ti­fi­cat actuel ;
  • La « Reflexiones sobre la vida apo­sto­li­ca » rédi­gée par Bergoglio en 1987 ;
  • La pré­sen­ta­tion fai­te en 1989 par Bergoglio du livre « Il mio idea­le di san­ti­tà » du jésui­te argen­tin Ismael Quiles, qui fut son pro­fes­seur ;
  • La maxi­me « simul in actio­ne con­tem­pla­ti­vus » du jésui­te Jerónimo Nadal, l’un des pre­miers com­pa­gnons de Saint Ignace de Loyola ;
  • Le livre « Discernimiento y lucha espi­ri­tual » du jésui­te Miguel Ángel Fiorito, le père spi­ri­tuel du jeu­ne Bergoglio qui en rédi­gea la pré­fa­ce en 1985 ;
  • La maxi­me de Saint Ignace par­ti­cu­liè­re­ment chè­re à François : « Non coer­ce­ri a maxi­mo, con­ti­ne­ri tamen a mini­mo divi­num est » (Ne pas être enser­ré par le plus grand, être cepen­dant con­te­nu par le plus petit, c’e­st cho­se divi­ne) ;
  • Le docu­ment con­clu­sif de la con­fé­ren­ce géné­ral de l’épiscopat latino-américain d’Aparecida de 2007, dont Bergoglio fut le prin­ci­pal rap­por­teur ;
  • Et enfin plu­sieurs homé­lies mati­na­les de François à Sainte Marthe.

Mais sur cet­te tra­me de fond, avec com­me thè­me prin­ci­pal « l’appel de tous à la sain­te­té », le Pape François a réus­si à insé­rer une rafa­le d’invectives de son cru – elles aus­si endé­mi­ques dans nom­bre de ses écri­ts et discours pré­cé­den­ts – con­tre ceux qui le cri­ti­ques et leurs objec­tions.

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Dans « Gaudete et exsul­ta­te », François bros­se un por­trait par­ti­cu­liè­re­ment néga­tif de ses détrac­teurs.

Ce sont ceux qui ont « un visa­ge d’enterrement », qui sont « obsé­dés par la loi, l’ostentation dans le soin de la litur­gie, de la doc­tri­ne et du pre­sti­ge de l’Eglise ».

Ce sont ceux qui plient la reli­gion « au ser­vi­ce des pro­pres élu­cu­bra­tions psy­cho­lo­gi­ques et men­ta­les ».

Ce sont ceux qui conçoi­vent la doc­tri­ne com­me « systè­me clos, pri­vé de dyna­mi­ques capa­bles d’engendrer des que­stions, des dou­tes, des inter­ro­ga­tions ».

Ce sont ceux qui s’enferment dans une « médio­cri­té tran­quil­le et ane­sthé­sian­te » fai­te d’ « indi­vi­dua­li­sme, spi­ri­tua­li­sme, repli dans de peti­ts cer­cles, dépen­dan­ce, rou­ti­ne, répé­ti­tion de sché­mas pré­fi­xés, dog­ma­ti­sme, nostal­gie, pes­si­mi­sme, refu­ge dans les nor­mes. »

Ce sont ceux qui aiment « avoir le regard figé dans une pré­ten­due exta­se » et une « sain­te­té de faça­de, tou­te bel­le, tou­te bien fai­te » mais qui en réa­li­té est « fein­te ».

Ce sont, en deux mots, les « gno­sti­ques » et les « péla­giens » moder­nes, dans une ver­sion actuel­le de ces deux héré­sies anti­ques.

Dans tou­tes ces invec­ti­ves de François con­tre ses détrac­teurs, est-il pos­si­ble d’identifier quel­ques atta­ques « ad per­so­nam » ?

Si l’on s’en tient à ce qu’écrit le Père Spadaro, on dirait bien que oui.

Il y a un pas­sa­ge, au para­gra­phe 26 de « Gaudete et exsul­ta­te » qui sem­ble vou­loir en finir avec deux mil­lé­nai­res de mona­chi­sme con­tem­pla­tif, mascu­lin et fémi­nin.

« Il n’est pas sain d’aimer le silen­ce et de fuir la ren­con­tre avec l’autre, de sou­hai­ter le repos et d’éviter l’activité, de cher­cher la priè­re et de mépri­ser le ser­vi­ce. Nous som­mes appe­lés à vivre la con­tem­pla­tion éga­le­ment au sein de l’action ».

Et voi­là ce qu’écrit Spadaro dans l’exégèse qu’il fait de ce pas­sa­ge :

« C’est cela l’idéal igna­cien, en fait, selon la célè­bre for­mu­le d’un de ses pre­miers com­pa­gnons, le P. Jerónimo Nadal : être ‘simul in actio­ne con­tem­pla­ti­vus’. Les alter­na­ti­ves tel­les que ‘Dieu ou le mon­de’ ou enco­re ‘Dieu ou rien’ sont faus­ses ».

Attention : « Dieu ou rien » et « La for­ce du silen­ce » sont exac­te­ment les titres des deux prin­ci­paux livres du car­di­nal Robert Sarah, c’est-à-dire du prin­ci­pal défen­seur d’une vision de l’Eglise catho­li­que dif­fé­ren­te de cel­le pro­mue par le Pape François.

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Outre les invec­ti­ves con­tre ses détrac­teurs, François a éga­le­ment glis­sé dans « Gaudete et exsul­ta­te » quel­ques répon­ses à cer­tai­nes cri­ti­ques por­tées con­tre lui.

Par exem­ple, aux para­gra­phes 101 et 102, les cri­ti­ques sur sa façon de trai­ter la que­stion des migran­ts :

« Certains catho­li­ques affir­ment que c’est un sujet secon­dai­re à côté des que­stions “sérieu­ses” de la bio­é­thi­que. Qu’un hom­me poli­ti­que préoc­cu­pé par ses suc­cès dise une tel­le cho­se, on peut arri­ver à la com­pren­dre ; mais pas un chré­tien ».

Autre exem­ple : au para­gra­phe 115, le Pape s’en prend con­tre ces « réseaux catho­li­ques » qui cher­chent à « com­pen­ser ses pro­pres insa­ti­sfac­tions » en vio­lant le hui­tiè­me com­man­de­ment « Ne pas por­ter de faux témoi­gna­ge ni men­tir », quit­te à « détrui­re l’image de l’autre sans pitié ».

Curieusement, cepen­dant, le jour où François a appo­sé sa signa­tu­re au bas de « Gudate et exsul­ta­te », c’était le 19 mars.

Jour de la fête de Saint Joseph. Mais éga­le­ment le der­nier jour de la « saga Viganò », c’est-à-dire de l’une des plus colos­sa­les « fake news » pro­dui­te à ce jour par le pon­ti­fi­cat de François et qui plus est aux dépens de son inno­cent pré­dé­ces­seur Benoît XVI.

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 9/04/2018